Les Scouts de France en Afrique Noire avant le Jamboree de Moisson
L’histoire des Scouts de France en Afrique au sud du Sahara est assez difficile à retracer avec certitude. Les documents ne manquent certes pas, du moins pour certaines anciennes colonies cela bien qu’une partie des archives de l’Outremer ait disparu pendant la débâcle de juin 1940 et que la période de l’Occupation soit parfois assez obscurcie pour les territoires ayant choisi la France Libre. La pratique de l’affiliation des unités à la fédération puis association des Scouts de France était un processus qui pouvait se révéler assez long, ce qui rend difficile d’attribuer une date précise de fondation, certains essais locaux de scoutisme se révélant des feux de brousse. On est alors obligé d’avoir recours à la mémoire orale par nature imprécise et fluctuante.
Si nous exceptons Madagascar dont la première unité la 1ère Tananarive, troupe Jean de Laborde, dont l’aumônier sera longtemps le R.P. du Mas de Paysac voit le jour dès 1923, la première troupe d’Afrique Noire citée dans les publications officielles du mouvement est celle de Lomé au Togo mentionnée dans l’Annuaire de 1924, sans qu’il soit fait mention d’un nom pour l’Aumônier ou le Scoutmestre de troupe. Or il convient de rappeler que le Togo (que l’on appelait encore à cette époque Togoland) n’est pas une colonie française, mais un territoire sous mandat, c’est à dire une ancienne colonie allemande dont l’administration fut confiée à la France par la Société des Nations, ce fait est important car la manière dont un territoire était administré conditionnera la naissance et le développement du scoutisme local jusqu’aux Indépendances et même après. Cela est particulièrement vrai de toutes les colonies et tous les territoires sous mandat en Afrique, quelque soit la nationalité du colonisateur : britannique, française, belge, portugaise et dans une moindre mesure italienne. Les administrateurs adoptant des attitudes fort différentes.
La problématique principale était l’adéquation, à leurs yeux, de la proposition éducative scoute avec le statut des populations indigènes, comment en effet pouvait on percevoir le devoir envers la Patrie. Pour schématiser était-il souhaitable pour la puissance coloniale et pour les populations autochtones elles-mêmes que les jeunes africains pratiquâssent le scoutisme ? Ne valait-il pas mieux le réserver aux jeunes d’origine européenne, et à certaines communautés expatriées considérées comme plus “évoluées” : originaire du sous continent indien, de Chine ou du Levant. On pouvait par exception admettre dans une unité un petit nombre de jeunes d’origine africaine appartenant à des familles “évoluées”. Ce fut le choix fait en Afrique Australe où l’on créa un ersatz de scoutisme : les Pathfinders, pour les jeunes noirs.
Un autre problème est lié à la personnalité des fondateurs des premières unités. dans le contexte particulier des colonies françaises, ce sont les relations entretenues entre les autorités coloniales et les missionnaires catholiques qui retarderont parfois le développement du scoutisme catholique. En effet l’histoire de ce dernier est liée à l’histoire des colonies où il sera implanté avant l’indépendance. La fondation d’une unité au sein d’une population déjà christianisée ou animiste posera, a priori du moins, moins de problèmes que que dans une colonie où il existe une forte communauté musulmane, d’où l’existence dans les grandes villes où dans les postes de mission. Par contre coup l’expansion du scoutisme catholique subira un boum exponentiel au cours de la période de Vichy.
En janvier 1925 est affiliée la troupe d’Anecho, toujours au Togo. L’Aumônier en est le R.P. Chazat, le faisant fonction de Scoutmestre est cité dans l’Annuaire de 1926, il s’agit d’un certain M. d’Almeida. Ce nom à consonance portugaise pourrait être celui d’un métis ou d’un Africain descendant des anciens esclaves brésiliens rapatriés en Afrique à la fin du XIXème siècle, membre de la bourgeoisie locale. Les quelques photos publiées dans les revues de l’époque montrent que les jeunes scouts étaient bien des autochtones. Un point important car souvent dans certains pays anglophones les premières unités historiques étaient en fait réservées aux jeunes blancs (ce fut le cas de la première troupe de Nairobi en Afrique Orientale Britannique). En 1926 on compte déjà deux troupes affiliées à Tananarive (la 2ème étant affiliée le 4 octobre) ainsi qu’une troisième en formation. En 1928 cette troisième troupe n’est toujours pas affiliée et il n’y a aucun nom malgache parmi les membres des maîtrises dont les noms sont cités en outre Madagascar est devenue une Province. Il serait intéressant de savoir quelle proportion de jeunes malgaches comptaient alors ces unités. Le 19 février 1930 est affiliée 1ère Brazzaville, Troupe sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dont l’Aumônier est le R.P. Le Bail de la Mission Catholique, Madagascar compte deux troupes à Tananarive et une à Tamatave, affiliée le 9 avril, toujours fondée par le R.P. du Mas de Paysac, de plus un Délégué de District pour Tamatave a même été nommé. La Meute 1ère Saint Louis du Sénégal (qui sera dissoute le 21 décembre) est affiliée le 13 avril 1932 et la Troupe 1ère Dakar le 15 juin. Un Délégué de district pour Dakar est nommé l’année suivante, l’additif du Chef de juillet à la liste de 1932 mentionne l’existence du district. En janvier de l’année suivante on parle d’une Meute et d’une Troupe à Dakar, en décembre sont affiliées la Troupe 4ème et le Clan 2ème Tananarive. En 1936 le Togo est déjà un district puisqu’une Troupe 1ère Lomé vient d’être (ré-)affiliée, le district de Dakar est appelé Sénégal dans l’Annuaire, on espère même fonder des unités au Dahomey, une Troupe 8ème Tananarive est affiliée durant l’été. La 1ère Douala est affiliée en juin 1937, le Clan de District de Tananarive est affilié le 20 octobre ainsi que la première Meute de Tananarive en décembre. Cette même année une Meute et une Troupe sont fondées à Treichville en Côte d’Ivoire, elles seront affiliées l’année suivante (en mars/avril pour la Meute, en novembre pour la Troupe), de même que celle de Bamako en octobre, qui dépend du District de Dakar où une seconde Meute a été affiliée en juillet, la Troupe 2ème Fianarantsoa est affiliée en octobre. En décembre 1939 affiliation de la 1ère Bikop au Cameroun, qui devient un district de même que le Soudan Français (futur Mali). Les premiers essais de scoutisme en Haute-Volta démarrent en 1940 à Ouagadougou et à Fada, la Meute 1ère Bangui dans est affiliée en février de l’Oubangui. En 1941 Fianarantsoa devient un district, un ACT est nommé pour la Troupe d’Abidjan. En décembre de cette même année un Camp de Formation est organisé à Mali en Guinée pour l’A.O.F. La Meute et la Troupe 1ère Saint Louis du Sénégal sont affiliées le 11 novembre. En 1942 démarreront les troupes d’Abengourou, Agboville, de Bingerville, Bouaké, Grand Bassam en Côte d’Ivoire ainsi que celle de Bobo Dioulasso. (A cette époque la Haute Volta dépend toujours de la Côte d’Ivoire). On compte alors (information parue dans Le Chef N° 188 de février) huit meutes, quatorze troupes et cinq clans pour l’A.O.F. répartis comme suit : Sénégal quatre meutes, quatre troupes et trois clans, Soudan une meute, une troupe et un clan, Guinée une meute et une troupe, Côte d’Ivoire deux meutes, cinq troupes et un clan, Togo deux troupes, Dahomey une troupe. Le 2 juin est créée la Province des Pays d’Outre-Mer avec un Pays d’Afrique Noire, un Pays de Madagascar et un District de Guinée, un Commissaire de District pour la Côte d’Ivoire est nommé en fin d’année, la Meute de Bamako est affiliée en décembre.
L’Afrique Equatoriale Française a choisi la France Libre dès 1940 ce qui fait que le QG de Lyon n’a plus de nouvelles. Les Britanniques débarquent en mai à Diego Suarez puis occupent toute la Grande Île, l’A.O.F. se range du côté des Alliés en novembre suite au débarquement d’Afrique du Nord, le contact avec Lyon est rompu. Le scoutisme catholique au Tchad démarera à Doga en 1945.
On trouve dans la revue Grands Lacs des Missionaires d’Afrique de 1946 les indications suivantes. Les Scouts de France en Afrique Occidentale Française comptent alors cinq meutes indigènes, dont trois au Sénégal, Bamako y étant rattaché, plus celles de Treichville et de Cotonou, douze troupes indigènes, la 1ère Dakar, une troupe à Saint-Louis, une troupe à Conakry en Guinée, la 1ère Treichville, la troupe d’Abidjan, et celle de Bingerville en Côte d’Ivoire, la 1ère et la 2ème Lomé au Togo, la 1ère et la 2ème Cotonou ainsi que la 1ère et la 2ème Porto Novo au Dahomey, pour seulement deux troupes européennes : la 2ème Dakar qui compte aussi une meute et une patrouille à Conakry et enfin cinq clans indigènes, dont quatre se trouvent au Sénégal, citons le clan Laënnec de l’Ecole de Médecine et le clan Lyautey de l’Ecole Normale de Sebikotane. On peut comparer ces chiffres avec ceux de 1942 pour voir la progression. Cette même année il y a à Madagascar 185 S.d.F. indigènes pour 225 européens. Les informations concernant l’Afrique Équatoriale Française sont moins précises : on compte alors 1 560 scouts africains répartis en dix-huit meutes, trente-trois troupes et six clans pour seulement 50 scouts européens répartis en une meute, une troupe et un clan. Cette disproportion s’explique par le fait que la présence européenne en A.E.F. est moins importante qu’en A.O.F.. Comment alors expliquer le nombre supérieur d’unités ? Il faudrait tout d’abord sur quelles colonies sont situées ces troupes, vraisemblablement le Congo et le Cameroun (bien qu’il ne s’agisse pas d’une colonie, mais d’un territoire sous mandat).
L’administration française libre aurait-elle été plus favorable à l’implantation du scoutisme auprès des populations africaines, le Gouverneur Eboué étant lui même une personne de couleur, que celle de l’Etat Français ? La réponse serait plutôt à rechercher du côté du rapport populations islamisées, populations christianisées ou restées animistes en A.O.F elle-même et entre l’A.O.F et l’A.E.F. La situation de Madagascar est un peu plus différente, le développement du scoutisme unioniste y est plus rapide que celui du scoutisme catholique, mais il est avéré que le protestantisme est plus implanté au sein de la bourgeoisie merina des hauts plateaux.
Cet article était originellement publié sur Scout un jour, un site animé entre 2004 et 2014 par des passionnés de l’histoire des Scouts de France.
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