Écoute le silence

Nous voici à pied d’oeuvre. Par quelle ronce commencer ?
Ou quelle branche ?
Laissons ronces et branches.
Assieds-toi un instant.
Ecoute.
Ecoute le silence.
Respire, aspire le silence.
Plonge-toi dans le silence.
Accueille-le et jouis du silence.

Dans ce coin de forêt les bruits de la Vie et du monde te parviennent amortis, lointains. Ils ne rompent pas le silence, ils lui donnent son poids. Ni le vent dans les branches, ni le chant des oiseaux ne rompent le silence. Ils l’habitent et le font goûter.

Goûte le silence.

Le « chemin de ton coeur » s’effraye aux bruits des hommes, il se cache à leurs bavardages. Aujourd’hui, dans le silence des forêts, des gens vont, le transistor à l’oreille.
Non pas pour écouter. Pour l’ambiance. Pour le bruit. Comme une drogue. Pour exorciser le silence.
Car le silence parfois fait peur et oppresse. Le silence te laisse seul avec toi-même :
difficile compagnonnage .... J’en sais quelque chose. Avant un fond de musique ou de parole accompagnait ma vie. Je n’écoutais pas ou si peu. Mais c’était devenu automatique. Comme la cigarette du fumeur invétéré, qui ne sait même plus qu’il l’allume.
Je meublais le silence.
Avec du bruit. N’importe quoi. De la grande musique ou la radio. Un bruit qui rassurait. Une sorte de présence, en face ou à côté de moi.

Pour retrouver le chemin de mon cœur, il m’a fallu reconquérir le silence, fermer mon transistor. Je l’avais emporté lors d’une première retraite (par la suite, je ne le prenais même plus dans mes bagages). Mais c’était seulement pour les informations.
J’étais d’ailleurs assez rarement dans ma chambre. J’aimais me promener lentement dans le parc, au milieu des arbres et des chants d’oiseaux, ou bien m’asseoir sur un banc, dans la fraîcheur de l’air, sous le soleil d’automne. Une cure de nature et de silence.
Bien des heures de cette prière retrouvée se sont déroulées ainsi.

Nous étions alors en silence toute la journée, pendant les repas comme pendant les temps libres. Bienfaisant silence, qui t’enveloppe et peu à peu t’apaise, te dénoue, te libère.

Oh ! ce silence des longues retraites !

Il est parfois très éprouvant aux premiers jours quand manque l’habitude. La langue te démange : il serait si confortable, si rassurant, si bénéfique, de te livrer un moment à un partage spirituel : manière comme une autre de fuir le silence. Heureux es-tu quand le frère ou la soeur à qui tu t’adresses met son doigt sur sa bouche avec un joli
sourire ! Ravale les paroles préparées, ton bavardage inutile (qui probablement t’apparaissait alors impérieux, irremplaçable, vitali) et réjouis-toi de ce silence, de ce cadeau de silence que ton frère ou ta soeur a renouvelé pour toi. Reste avec ton silence.

Le silence de ce parc me fut une aide précieuse. Cette sorte de retour à la nature fut bénéfique au citadin que je suis. Il contribua à rééduquer en mon être le goût du silence. C’est là que le chemin de mon coeur a commencé à se rouvrir pour moi.

Alors le silence alentour commence à t’apparaître comme un havre de paix. Alors que tu le fuyais, tu te prends à le rechercher. Tu te sens revivre, comme si le bruit t’avait asphyxié peu à peu et que le silence, comme une grande respiration profonde, te renouvelle et te purifie.

Il arrive pourtant que le silence pèse à certains jours, à certains soirs surtout. Je me souviens des soirs d’hiver en montagne. La neige amortissait encore les bruits ténus des choses. On entendait en vérité le silence, comme une sollicitation très particulière de l’ouïe en éveil. Il prenait une épaisseur, un poids inaccoutumés, comme la branche de sapin chargée de neige ne répond plus à l’appel de la brise avant
d’avoir secoué la chape qui la paralyse. Toute parole semble alors indiscrète, presque profanatrice, comme on soulève pour un regard de curiosité un lourd rideau qui s’écarte et retombe. Elle perd toute résonance et s’amortit bientôt dans le silence qui reprend les choses et les gens.

Silence oppressant parfois, où monte un point d’angoisse, au rythme des battements de ton coeur. Souris à cette angoisse : elle est le rappel d’une solitude que naguère tu ne supportais pas. Souris car ce silence est lourd, si tu l’accueilles, d’une présence qui peu à peu se révèle à toi et qui vient t’habiter.

A condition que ton coeur soit dans la paix. Si au contraire tu sens que l’agitation te gagne en ce silence trop fort, ne t’obstine pas : il ne sert à rien de se tendre. Va parler un moment avec quelqu’un que tu ne risques pas de déranger. Ne va pas troubler le silence d’un frère : quelqu’un est à ta disposition pour cela. Et puis, aussi vite que tu seras calmé, apaisé, reviens au silence.

Comme tes poumons aspirent à l’air pur, ton cœur désire ce silence. Laisse monter en toi ce désir, laisse-le s’imposer à toi comme une nécessité. Cultive-le : il t’est donné, condition de la rencontre, prélude obligé de la prière, et tu le sens grandir en toi.

PS

extrait de Pierre Gilbert La prière retrouvée. Nouvelle Cité 1984. p.54-58

Publié le