Le Père Jacques de Jésus et le scoutisme (2)

Il ne fait aucun doute que le Père Jacques intègre des composantes de la méthode éducative du scoutisme dans le fonctionnement du petit collège. Cependant il faut attendre la période de l’occupation pour voir apparaître au sein de l’établissement et dans le cadre des activités extrascolaires la proposition du scoutisme aux collégiens.

C’est de retour à Avon, après avoir connu la « drôle de guerre » et sans doute sous l’impulsion de Marcel Dinand, ancien scout, que le Père Jacques développe la méthode de Baden-Powell. Jacques Chégaray qui a encadré des camps scouts au Havre rapporte qu’ à cette époque, le collège englobait un clan routiers? emmenés par Étienne Pesle, une meute de louveteaux? et une troupe scouts. Le Père Jacques en était l’aumônier. Il souligne le succès de cette nouvelle activité : quand nous organisions le jeudi des sorties de patrouilles dans la forêt, il ne restait plus, dans la cour, que trois ou quatre irréductibles qu’un Père dévoué emmenait en promenade.

Paradoxalement, le scoutisme fait son apparition au petit collège au moment où il est interdit par les autorités allemandes. L’album photos conservé au Couvent d’Avon atteste de ses activités et demeure sans doute l’ illustration d’une certaine naïveté voir d’un manque de prudence. Car à cette époque les Allemands ne sont pas dupes et ont compris que le scoutisme favorise le patriotisme et l’engagement dans les maquis. En zone nord certaines de ces troupes scoutes clandestines ont eu à répondre de leurs activités devant les autorités allemandes et ont écopé d’une période d’emprisonnement.
Jacques Chégaray rappelle cet état d’esprit que l’occupant condamnait : L’un des avantages du scoutisme c’est que, sous la botte allemande, nous pouvions faire preuve d’un peu de patriotisme en saluant les couleurs chaque matin et en chantant impunément la Marseillaise si le cœur nous en disait.

On le sait, le Père Jacques affectionne particulièrement les grands jeux en pleine air. La forêt de Fontainebleau, les rochers d’Avon offrent un espace où l’imaginaire du Père Jacques et de la maîtrise scoute transforment les collégiens en chasseur de trésor. L’évocation quelque peu romancée d’un grand jeu de piste par Louis Malle, ancien élève du Petit Collège, dans son film « Au revoir les enfants », restitue ce type d’activité.

L’été, les scouts plantent leurs tentes à Balloy un petit village à une vingtaine de kilomètre de Provin. Sans chercher à empiéter sur le rôle du chef, le Père Jacques se cantonne à sa fonction d’aumônier avec le charisme qu’on lui connaît : Mais quel aumônier ! Ces messes dites en plein air, au petit jour, dans une clairière ou au bord d’un cours d’eau avec ce recueillement extraordinaire si communicatif et ces cinq minutes d’homélie émouvantes, denses,évocatrices dont on ne perdait pas un mot et qui paraissaient toujours si courtes ! « Il parlait lentement, très doucement, si doucement que cela était comme une prière, disait l’un des scouts. Dès les premiers mots, nous étions tous captivés. »
Et quand il se taisait, dans un silence que seul troublait le gazouillis des oiseaux, devant l’impact incroyable de ses paroles sur les garçons qui n’en avaient pas perdu une miette, je me disais toujours : « Quel orateur, ce Père Jacques ! ».

Le but de l’étude de la nature est de donner à chacun le sens de la beauté de la création et de lui faire réaliser l’existence de son Créateur écrivait Baden-Powell. Le Père Jacques est également celui qui initie ses élèves à observer, à s’émerveiller et à voir l’œuvre de Dieu dans la création.
À Balloy, en barque, raconte Claude F., à la tombée de la nuit, le Père Jacques m’a montré le nénuphar qui s’endort, la branche du roseau qui ploie sous le sommeil et va effleurer la surface des eaux. Il m’a fait goûter le coucher de soleil sur la campagne appesantie et lourde du travail des hommes, la prière qui monte avec la nuit, le chant d’espoir des amours étincelantes et diaphanes. Il m’a montré Dieu dans ce petit brin d’herbe qui ploie sous la coccinelle, sous la fraîcheur d’un bain matinal dans l’épanouissement de ma force.

Une anecdote rapportée par Jacques Chégary rappelle cette invocation de la prière scoute : « à travailler sans chercher le repos ».
Une fois, à Balloy, nous organisions un jeu de nuit. Vers onze heures du soir, tout est terminé et les patrouilles regagnent leur tente.
- « Tiens ! dis-je en passant, au Père Jacques, on nous a livré un sac de pommes de terre. Il faudra s’y mettre demain pour tout éplucher. »
Et je regagne ma tente.

Le lendemain, aux aurores, je vois le Père Jacques assis sur un tabouret. Il achevait d’éplucher tout seul les cinquante kilos de pommes de terre ! Il ne s’était pas couché. Il avait travaillé toute la nuit, au clair de lune… J’ai pris une photo du Père épluchant sa dernière pomme de terre.

Le 15 janvier 1944, le père Jacques est arrêté par la Gestapo pour avoir caché 3 enfants juifs et être impliqué dans un réseau de résistance. Le Petit Collège ferme ses portes et les élèves sont priés de rentrer chez eux. Preuve sans doute de leur attachement au scoutisme, en attendant leur train, certains se rendent au local scout prendre ce à quoi ils tiennent le plus.

Le Père Jacques est déporté au camp de Mauthausen et meurt à Linz peu après la libération du camp par les Américains.
Lors de son inhumation, le 26 juin 1945, son cercueil est porté par des scouts. En 1946, la presse locale signale la présence de scouts à l’occasion du dévoilement de la plaque commémorant le sacrifice du Père Jacques.
À Barentin, enfin, ville natale du Père Jacques, le scoutisme est lancé en 1944 sous le patronage de Henry de Bournazel. Quelques mois plus tard ce groupe scouts est rebaptisé « groupe Lucien Bunel ». Aujourd’hui encore il porte son nom et garde la mémoire de celui qui fidèle à la prière scoute se dépensa sans attendre d’autre récompense que celle de savoir qu’il faisait la sainte volonté du Seigneur.

Sources :
Jacques Chegaray, Un carme héroïque, Edt. Nouvelle cité, 1989
Michel Carrouge, Le Père Jacques : « Au revoir les enfants », Edt. Du Cerf, 2003
Philippe de la Trinité, Le Père Jacques martyr de la Charité, Edt. Desclée de Brouwer, 1947

Archives du Couvent des Carmes de Avon
Témoignages d’anciens scouts

PS

Cet article était originellement publié sur Scout un jour, un site animé entre 2004 et 2014 par des passionnés de l’histoire des Scouts de France.

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