L’analyse de la Loi des Scouts originelle par le Père Jacques Sevin
Dans son livre, "Le Scoutisme", le Père Jacques Sevin analyse et interprète la Loi des scouts créé par Robert Baden Powell.
Il faut bien entendu placer cette analyse dans le contexte de l’époque, mais la lecture qu’il fait de la Loi originelle est un éclairage intéressant qui te permettra de comprendre bien des choses dans le scoutisme !
La Loi Scoute n’est que le développement de la Promesse. Sir R.
Baden-Powell a jugé avec raison que les engagements généraux risquent de rester lettre morte dans la pratique s’ils ne se réfèrent à des textes clairs et précis. C’est pourquoi il a rédigé ce Code aux formules brèves, concrètes et incisives, nœud de tout le système, et clé de la formation scoute. C’est lui qui nous renseigne sur ce qu’on exige des enfants au point de vue moral, et qui nous montre comment le scoutisme pétrit l’âme de ses adhérents. Donnons-en d’abord la traduction exacte.
- L’honneur d’un Scout est d’inspirer confiance ;
- Le Scout est loyal au Roi et à ses officiers, à ses parents, son pays, ses patrons et ses subordonnés ;
- Le devoir d’un Scout est de se rendre utile et d’aider son prochain ;
- Le Scout est l’ami de tous, et le frère de tout autre Scout, à quelque classe sociale que celui-ci appartienne ;
- Le Scout est courtois ;
- Le Scout est bon pour les animaux ;
- Le Scout obéit aux ordres de ses parents, de son
chef de patrouille, de son scoutmestre, sans récriminer ; - Le Scout sourit et siffle dans toutes ses difficultés ;
- Le Scout est économe ;
- Le Scout est pur dans ses pensées, ses paroles et ses actes.
La Loi énonce des définitions
Une remarque, avant d’entrer dans le détail du commentaire. Cette « Loi Scoute », puisque tel est son nom, n’est pas formulée comme un texte de loi ordinaire. Le Code dit généralement : « On doit, on peut, il faut, il n’est pas permis... » Ici rien de pareil. Roland Philipps en donne la raison dans ses excellentes Lettres à un Chef de Patrouille :
« Un Anglais reste Anglais, même s’il enfreint continuellement les lois de son pays, mais un Scout qui manque à la Loi Scoute à tout instant ne peut pas rester Scout ... Les dix articles de la Loi énoncent des faits, des définitions. Le Chef nous dit : voilà ce qu’est un Scout : homme d’honneur, loyal, dévoué, courtois, bon, joyeux, obéissant, pur, etc. Qui ne s’efforce pas de devenir tel, n’est pas un Scout et n’en gardera pas longtemps l’uniforme. Que ce soit bien entendu dès votre entrée. »
C’est se méprendre par conséquent que de voir dans ces énoncés directs un reflet de l’impératif catégorique ou d’une mentalité pas assez humble. Les chefs savent bien que l’uniforme ne fait pas le Scout, mais ils ont soin — preuve d’une bonne psychologie, — de ne pas présenter cet idéal à atteindre, comme un Idéal, mais comme un fait : Le vrai Scout est cela, et pas autre chose. A l’enfant de se juger lui-même, en examinant s’il correspond à la définition.
Parcourons maintenant les dix articles de la Loi :
1. L’honneur d’un Scout est d’inspirer confiance.
En premier lieu, la franchise. La loi dit équivalemment aux nouveaux venus : un honnête homme ne ment pas. Nous vous traitons en hommes. Il est entendu que nous avons confiance. Comme nous disait un secrétaire des Scouts de Londres, « nous leur apprenons que leur parole vaut une parole de Roi ».
Un Scout qui mentirait pourrait être invité à rendre son insigne ou même à se retirer de l’Association.
Outre ce qu’il y a d’éminemment éducatif à paraître n’imaginer même pas que l’enfant puisse mentir, cette entente préalable est indispensable à l’existence même du système. Si le Scout n’a pas assez de principe intérieur pour être parfaitement franc et honnête, la surveillance devra être resserrée au détriment de la formation à la liberté et à l’initiative, et l’on retombe dans ce genre de discipline qui a pour axiome fondamental la défiance du supérieur envers l’inférieur.
Nous, Scouts, nous estimons au contraire, dit Baden-Powell, que la seule discipline qui dure est celle qui vient de l’intérieur. Et voici comment nous procédons : on apprend à l’enfant ce que c’est que l’honneur, ce que c’est que la conscience. Après quoi on lui fait un point d’honneur — de faire tous ses efforts — pour accomplir ce que sa Conscience lui indique comme Devoir.
Cela n’a l’air de rien ou de phrases ? Essayez : cela rend et, qui plus est, cela entre dans l’âme de l’enfant et y reste pour la vie.
Et voilà qui sonne français et chrétien.
2. Un Scout est loyal au Roi et à ses officiers, à ses parents, à son pays, à ceux qui l’emploient, comme à ses subordonnés.
II doit leur être fidèle à travers tout, contre tout ennemi ou même contre qui en dirait du mal. » C’est le loyalisme.
Ce loyalisme n’entraîne pas nécessairement l’obéissance aux ordres, et c’est en quoi la règle 2 ne se confond pas avec la règle 7. Il est d’abord et surtout, la fidélité à l’institution, à l’autorité comme telle : « Je ne trahirai pas, je maintiendrai. » Il correspond assez bien à ce que l’on nomme, en style de collège, « le bon esprit », qui cependant contient peut-être une plus grande part de docilité intellectuelle : en principe, on donne raison au maître, quel qu’il soit. Si on ne le peut, on tâche de se taire, et s’il est impossible de se taire, si on croit devoir garder son franc parler et son franc juger, ce ne sera jamais pour ébranler l’autorité elle-même. Le Scout est donc un homme sur qui l’on peut compter. Il est « loyal serviteur », comme l’écuyer de notre Bavard, et si on l’a pour chef, on sait qu’on ne sera pas « lâché » par lui.
Nous entrevoyons déjà la portée de cette règle, et comment elle est de celles qui contribuent le plus à la formation civique de l’enfant. Un Scout fidèle à sa Loi ne peut pas, par exemple, participer à une grève injuste. Bien comprises, ces deux petites lignes sur le loyalisme ne sont pas sans retentissement social.
3. Le devoir d’un Scout est de se rendre utile et d’aider le prochain
« Ce devoir passe avant tout le reste, fallût-il sacrifier son plaisir, sa commodité, sa sûreté personnelle. Le Scout doit en toutes circonstances être prêt à opérer un sauvetage, à secourir la victime d’un accident. Et il doit faire tous ses efforts pour accomplir chaque jour une bonne action, si modeste soit-elle.
Tel est le mot d’ordre, le fond même du scoutisme : Servir. « No day without a deed to crown it : Pas de jour sans un exploit qui le couronne », dit le héros de Shakespeare. C’est le dévouement à toute réquisition et sans réquisition. Il faut donc que le Scout acquière deux choses : en premier lieu L’esprit de dévouement, puis les connaissances pratiques, secourisme, débrouillardise, qui permettent de se dévouer avec intelligence. Créons des compétents, pour multiplier les dévoués, car ce qui manque à tant d’hommes pour devenir tels, ce n’est pas le courage et la générosité, c’est le savoir-faire. On n’aime à faire que ce que l’on sait bien faire.
Cet apprentissage du dévouement, c’est l’œuvre de la « Bonne Action Quotidienne ».
Regrettons d’abord la traduction française du mot « Good Turn », elle cause parfois des méprises dans l’esprit, non seulement des petits « novices » — les premiers jours qui suivent leur admission — mais même dans celui de plus graves personnages. Le Scout n’est pas en règle avec sa Loi dès qu’il peut se dire le soir qu’il a accompli quelque chose de bien, une action bonne, dans sa journée. A ce compte, prière, travail consciencieux, résistance à une tentation, œuvres excellentes et nécessaires, suffiraient, mais c’est le dressage personnel au dévouement qui est la fin propre de cette prescription.
Le texte de la règle détermine sans possibilité d’erreur le sens de l’expression « Bonne Action ». Il s’agit d’un service à rendre, d’un acte qui requiert donc toujours un minimum de dévouement :
« Faire sa B. A. », c’est, par exemple, aller chercher la provision de bois d’une voisine, indiquer la route à un étranger et l’accompagner jusqu’à ce qu’il soit sur le bon chemin, aider un vieillard à pousser une charrette à bras en montant la côte, sacrifier une réunion scoute pour porter jusqu’à la gare, à 3 kilomètres, la valise très lourde d’un monsieur encombré de deux paquets.
Et naturellement, défense de rien accepter, en remerciement ou en pourboire, même un centime ! II n’est même pas requis que le bénéficiaire de la Bonne Action nous soit connu : enlever de la chaussée un pavé déplacé qui risque de faire broncher un cheval, refermer la barrière d’une pâture où se trouve le bétail, cela compte. Oh ! évidemment ce sont là petites choses, mais peu à peu le Scout s’entraîne, le pli se prend : l’enfant en vient à ne plus se croire autorisé à dénouer son foulard que pour compter les actions qui lui ont coûté du temps ou de la peine, et il ne se contente pas d’en faire une et puis de croiser les bras : non, à l’affût de l’occasion, toujours sur le qui-vive.
Il écoute partout si l’on crie au secours.
Parfois, il a la chance de pouvoir noter : « lundi : arrêté une voiture parce qu’un petit aurait été écrasé » : un autre jour, tel jeune Assistant, malgré son horreur du sang, panse en pleine rue un malheureux qui vient d’être écrasé par un tombereau : « Je n’aurais jamais eu le courage de le faire, si je n’avais été Scout », avoue-t-il ensuite. D’autres fois, c’est l’accident, non pas secouru, mais empêché, même avec un vrai risque personnel, comme le firent ces deux petits Scouts qui, voyant brûler vif un de leurs camarades, sans se soucier des grenades dont celui-ci avait les poches pleines, au lieu de se sauver affolés comme les autres témoins de l’accident, se précipitèrent sur la victime et réussirent à lui ôter sa veste et à éteindre ses vêtements. Voilà où mène « la Bonne Action Quotidienne, si modeste soit-elle », et il n’y a plus à en sourire que ceux qui n’ont pas touché du doigt les transformations qu’elle accomplit dans des âmes d’enfants.
Je me suis étendu un peu sur cette deuxième Règle : elle est cardinale dans le système. La valeur d’une Troupe se mesure, non à la multiplicité des brevets conquis, mais à son estime et à la pratique de la Bonne Action.
4. Un Scout est ami de tout le monde et frère de tout autre Scout, à quelque classe sociale que celui-ci appartienne
Deux mots règlent l’attitude envers les étrangers et envers les autres Scouts.
1. Envers les inconnus : « Ami de toute le monde », c’est le surnom que s’était acquis le jeune Kim, le héros de Kipling, souvent proposé comme modèle aux Scouts anglais. — Non qu’il faille prodiguer les marques de bienveillance et perdre en profondeur ce qu’on semblerait gagner en surface, mais le Scout doit être tel que chacun sente que, le jour venu, c’est en lui qu’il trouvera l’ami sur qui s’appuyer.
2. les autres Scouts : Pure et simple fraternité chrétienne.
Cela ne veut pas dire que, habituellement et par principe, on mélange dans la même Troupe des enfants de différentes conditions. Tel n’est pas l’ordinaire.
Le sens de la Règle est celui-ci :
« Quand un Scout en rencontre un autre, même si celui-ci lui est inconnu, il doit lui adresser la parole et l’aider à accomplir sa mission s’il est de service, ou lui donner de la nourriture ou tout ce dont il pourrait avoir besoin ... Un Scout ne doit jamais être un Snob. Le snob est celui qui méprise ceux qui sont plus pauvres que lui ou qui, plus pauvre, jalouse les plus riches. »
Il n’y a donc pas de différence entre Scout riche et Scout pauvre, entre une troupe patronnée par un lord qui lui fournit son équipement et un drapeau de soie, et une troupe fondée par un employé de bureau, qui n’a qu’un drapeau d’étamine et qui tire le diable par la queue.
Troupe, drapeau ou Scout, l’un vaut l’autre ; et dans les concours et les fêtes, le niveau social de la troupe ou de l’individu n’entre pas en considération ; on ne tient compte que d’une chose, de la valeur de son Scoutisme.
Sans s’appeler « frère » officiellement, on vit dans l’atmosphère d’une grande famille où l’esprit fraternel n’est pas un vain mot. « Fraternitatem diligite. » Ce précepte de saint Pierre n’est pas lettre morte chez les vrais Scouts, de quelque pays qu’ils soient.
5. Un Scout est courtois
« Courtois », — « j’ai regret que ce mot soit trop vieil aujourd’hui », chez nous du moins. On enseigne encore aux enfants à être polis ; il paraitrait exagéré ou archaïque de les former à cette politesse supérieure qui a nom courtoisie. « Etre courtois, dit fort bien Mgr Butt dans son Livre de Prières, c’est se conduire comme ceux qui sont à la Cour du Roi. »
« N’oubliez pas que vous êtes au service du Roi des rois, que vous servez dans la personne de ceux qui ont besoin de votre assistance. Traitez-les donc non seulement avec politesse, mais avec respect. Un Scout est courtois. Respectez Jésus-Christ en eux et ne vous permettez de libertés avec personne. »
Le Scoutisme, en effet, se propose de former non des hommes des bois, mais des gentilshommes. Il y réussit J’ai presque toujours été frappé de la distinction et de la courtoisie des Scouts anglais à qui j’adressais la parole, si modeste, si faubourienne que fût leur origine. Et l’on sait si les bouges et les docks de Londres fournissent des produits raffinés !
6. Un Scout est l’ami des animaux.
Certains disent que nous avons ici le « Made in England » imprimé sur la Loi, la preuve qu’elle vient « du seul pays du monde où il fasse bon d’être roi ou cheval ». Mais rien ne nous empêche, nous catholiques, d’y retrouver l’influence de Saint François d’Assise et de sa prédilection pour nos sœurs les alouettes et notre frère le loup de Gubbio. En tout cas, l’idée est excellente et opportune. Il est notoire que les enfants, surtout les enfants du peuple, sont souvent cruels dans leurs jeux. Entraver le développement de leurs instincts barbares, leur apprendre les soins à donner aux animaux domestiques, le cheval, l’âne, le chien, n’a rien de superflu.
D’autre part, les publications scoutes n’invitent pas à ïa sensiblerie à l’égard de nos soi-disant « frères inférieurs ».
Le Scout évite cependant de les faire souffrir et ne tue que les animaux malfaisants ou ceux qui doivent servir à son alimentation. Dans l’esprit du législateur, cette Règle repose sur un fondement religieux : on doit respecter la vie, présent de Dieu et tous les êtres vivants, créatures de Dieu.
7. Un Scout obéit sans récriminer aux ordres de ses parents, de son chef de Patrouille, du Scoutmestre.
« Même si l’ordre reçu ne lui plait pas, il doit l’exécuter comme font soldats et marins, parce que c’est son devoir. Il présentera ses raisons après, mais il doit obéir immédiatement : ce qui s’appelle discipline. »
« Si jamais, pourtant, continue Roland Philipps, si jamais on vous donnait un ordre mauvais ? Alors dites-vous que c’est peut-être un des grands moments de votre vie. Rappelez-vous que la première de vos promesses, c’est l’accomplissement de vos devoirs envers Dieu. Si un jour donc vous vous trouvez en face de ces deux ordres contradictoires, vous ferez votre devoir envers Dieu plutôt que d’obéir à l’homme. »
On ne peut donc accuser l’obéissance scoute d’être « aveugle » ou de s’exercer aux dépens de l’autorité des parents. Elle n’est que ce qu’il faut qu’elle soit ; elle n’exige rien que ne demande, chez nous, le règlement de n’importe quel collège chrétien.
8. Un Scout sourit et siffle dans toutes ses difficultés.
Les premières rédactions portaient « en toute circonstance ». Il est probable que certains se croyaient obligés de toujours aller sifflotant un air quelconque. Le texte de 1914 a modifié en précisant. C’est dans les difficultés, les contrariétés, que le Scout est averti d’avoir à « conserver le sourire ».
« Quand il reçoit un ordre, il obéit joyeusement et rapidement et non avec la lenteur d’un chien qu’on fouette. Des Scouts ne doivent pas grogner à la fatigue ; dans leurs embarras, ils ne doivent ni pleurnicher, ni s’attraper mutuellement, ni jurer, mais ils doivent conserver leur sourire et continuer à siffloter. Quand vous venez de manquer le train ou quand on vient de vous écraser votre cor-au-pied favori (ce qui ne veut pas dire qu’un Scout doive avoir des cors-au-pied), ou dans n’importe quelles circonstances désagréables, forcez-vous à sourire immédiatement, sifflez un air et cela vous remettra d’aplomb. »
En bon psychologue, le Chef Scout s’est arrêté à la formule concrète : il sait l’influence du physique sur le moral. Souriez, sifflez une chanson : découragement ou mécontentement s’envoleront sur les doubles croches. C’est moins surnaturel que le conseil de S. Jacques : « Si l’un de vous est triste, qu’il prie », mais l’un n’empêche pas l’autre, et puis l’apôtre concluait : « et si vous êtes de bonne humeur, chantez ! » La 8e Règle est une école de maîtrise de soi.
9. Un Scout est économe.
« C’est-à-dire, il met de côté tous les sous qu’il peut, et place son argent à la Caisse d’Epargne. Lorsqu’il sera sans ouvrage, il aura de quoi vivre sans être à charge aux autres, ou bien il pourra le dépenser pour subvenir aux besoins de son prochain. »
Il ne s’agit pas simplement d’amasser une tirelire avec l’intention d’en dépenser le contenu quand on aura atteint la somme désirée.
Il y a longtemps que l’on a dit que si l’ouvrier ne buvait et ne fumait, il pourrait vivre de ses rentes à cinquante ans. En fait, nul ne dépense son argent aussi follement que les pauvres et les enfants des pauvres. Aussi faut-il louer le législateur d’avoir inséré dans son code un article spécial touchant ces habitudes d’économie que les garçons ne contracteront jamais trop jeunes. Pour être reçu Scout de 2e classe, il faut avoir au moins six pence à la Caisse d’Epargne, et pour passer Scout de lère classe, un shilling. Toujours dans le même esprit, l’enfant paye son uniforme, ses insignes, et, autant que possible, avec de l’argent gagné par lui, à moins qu’il ne préfère apprendre à coudre et confectionner lui-même les principales pièces de son équipement. Enfin, pour qu’il s’habitue à ne pas gaspiller ses ressources et à prévoir l’avenir, il lui est interdit de se reposer sur la charité publique. L’article 61 du Règlement Général défend aux Scouts de quêter des fonds pour leur troupe ou pour toute autre fin. Dressé à donner, à payer de sa personne en tout, il préfère, envers la société comme envers le prochain, être créancier que débiteur. Qu’il ait donc le souci de se suffire, et la fierté de se contenter de ce qu’il possède et de ne rien demander.
10. Un Scout est pur dans ses pensées, ses paroles et ses actes.
« C’est-à-dire, ajoute Baden-Powell, il méprise le jeune serin qui raconte des saletés, et, pour lui-même, il ne cède à la tentation, ni d’en parler, ni d’y penser, ni d’en faire. Un Scout est pur de corps et d’âme, il est viril. »
Cette paraphrase toute militaire ne laisse place à aucune équivoque, ne mentionne pas la propreté du corps et ne déguise pas la pureté sous le mot vague de respect de soi. C’est bien de « la belle vertu » qu’il s’agit. Il est excellent qu’on ait osé l’appeler par son nom, et proscrire les conversations et les pensées aussi bien que les actes qui lui seraient contraires.
C’est une vraie campagne pour la pureté que les fondateurs du Scoutisme ont entreprise et il est visible que la question les préoccupe grandement. On peut regretter qu’ils ne la posent pas toujours assez nettement sur son vrai terrain et s’inspirent parfois peut-être plus de considérations d’ordre social, préservation et relèvement de la race et de l’individu, que de raisons d’ordre surnaturel et chrétien.
Toutefois, s’ils semblent croire un peu trop à la valeur curative ou préservative d’une initiation qu’ils veulent d’ailleurs prudente et réservée, du moins l’on ne peut douter de l’excellence de leurs intentions. Il suffit pour s’en convaincre de lire les conférences adressées à diverses époques aux Scoutmestres ou les articles de la Gazette.
La pratique répond à la théorie. Les romans d’aventures et les nouvelles publiés dans le journal officiel des Scouts sont irréprochables et souvent ne contiennent même pas d’héroïne. Je dirais volontiers qu’ils sont trop « matter-offact » pour s’accorder cet idyllique superflu.
Jugement d’ensemble
Telle est la Loi Scoute. Que penser de ce Code proposé aux recrues du Scoutisme anglais ? Gardons-nous également du panégyrique et de la critique a priori.
Hors d’Angleterre, certains ont voulu y voir le Décalogue de la morale laïque destiné à remplacer dix autres Commandements. Rien n’est plus éloigné de la pensée des fondateurs, et Baden-Powell a trop de bon sens pour avoir des visées aussi puériles. Pour rendre laïque cette loi, il faut la séparer de la Promesse dont elle n’est que le complément et l’explicitation, et en fausser le sens « déterminé par la déclaration fondamentale » qui l’introduit : « Le devoir envers Dieu est la plus grande de toutes choses, celle qui garde le jeune homme fidèle à ses principes, honnête et loyal, celle qui lui met devant les yeux un idéal et au cœur ces convictions qui fleurissent en bonnes actions. »
Cependant, pratiquement, du fait même qu’elle est formulée en dix articles, à l’observation desquels on aura la main, ne fera-t-elle pas oublier aux enfants le vrai et premier Décalogue, et la loi de Dieu en tant que telle ne sera-t-elle pas remplacée par la Loi Scoute, la loi de Baden-Powell ? Y aurait-il là concurrence ? Regardez-y de plus près : celle-ci réédite celle-là, et de même que le Décalogue implique tout ce qu’il ne formule pas de la loi naturelle, la Loi Scoute suppose tout ce qu’elle ne dit pas. Laissant de côté les devoirs envers Dieu, affirmés à part et garantis par la Promesse, et le précepte de la charité surnaturelle qui, théologale, rentre dans la charité envers Dieu (le deuxième commandement semblable au premier), elle n’omet du Décalogue que ... la Justice (respect de la vie et du bien d’autrui). Mais puisqu’elle entraîne à sauver cette vie et ces biens, elle suppose vraisemblablement qu’on les respecte, et l’on est mai venu à reprocher d’oublier la justice à qui prêche le dévouement (les Scouts de France ont cependant jugé à propos de combler cette lacune en énonçant "Le Scout est économe et prend soin du bien d’autrui").
Quant au choix et à la forme particulière de ces règles, ce n’est pas la gravité morale des actes en eux-mêmes, mais leur valeur éducative et sociale qui les a déterminés : la pureté protège les énergies contre l’affaiblissement et l’amollissement, la belle humeur facilite l’effort ; l’humanité envers les animaux préserve la bonté du cœur, l’humanité tout court. La franchise et l’économie sont des moyens divers de fortifier le sentiment de la dignité personnelle, la conscience, le sens des responsabilités. La valeur sociale des autres préceptes est assez obvie : remarquons seulement que, pour assurer l’essentiel, ils ajoutent du facultatif, du superflu, si l’on peut dire. Les Scouts apprendront la subordination nécessaire en se soumettant au chef de patrouille ; ils auront la volonté d’être dévoués, toujours, au moins une fois par jour, pour être certains de l’être quand il faudra ; au lieu de la résignation dans la peine, on leur prescrit la joie et l’entrain. C’est bien là ce que l’ascétisme appelle l’agere contra, l’esprit d’offensive spirituelle ; c’est surtout se rappeler qu’il est souvent plus facile de faire plus que moins.
Non, la Loi Scoute n’est point laïque. Elle est bien plutôt le « Code d’une Chevalerie nouvelle ».
Si, par chevaliers, on entend, non de nobles batteurs d’estrade ou des guerroyeurs, mais des hommes d’honneur et de dévouement, façonnés comme tels par le christianisme, il faut reconnaitre que Sir Robert, chevalier lui-même, ne s’est pas fixé un moindre idéal quand il écrit : "Un chevalier — ou un Scout — est en tout temps un gentilhomme. Tant de gens s’imaginent que pour être un gentilhomme il faut avoir de l’argent, ce n’est pas l’argent qui fait le gentilhomme. Un gentilhomme est celui, quel qu’il soit, qui observe les règles de la chevalerie : un policeman, par exemple, est un gentilhomme, parce qu’il est bien discipliné, loyal, poli, brave, de bon caractère et qu’il aide les femmes et les enfants."
Or, dit le rédacteur en chef du journal officiel des garçons, commentant cette parole « Scouts are gentlemen » :
« Or, on devient gentilhomme en fréquentant des gentilshommes. Et être chrétien, ce n’est pas autre chose : c’est vivre dans la société de Celui qui, selon le mot d’un vieux poète, « fut le premier vrai gentilhomme qui ait jamais vécu », et apprendre à l’imiter. Si nous sommes des suivants du Christ, nous aurons vite compris combien c’est chose grossière, vulgaire, « pas gentilhomme », de nous laisser aller à notre mauvaise humeur, de manquer de bonté envers nos inférieurs ou d’humanité envers les animaux, de traiter les jeunes filles sans respect, de grogner, ou d’être impurs en pensées, paroles ou actions. Et quand nous serons tentés sur l’un ou l’autre de ces points, nous trouverons du secours dans cette pensée que le regard du Parfait Gentilhomme est toujours fixé sur nous, et que si nous le Lui demandons par la prière, Il nous fera semblables à Lui. »
Est-ce à dire pour cela que la Loi Scoute soit parfaite ? Non assurément, puisque les Scouts de France eux-mêmes ont cru possible de la perfectionner. On peut même lui refuser le mérite de l’originalité ; elle présente des similitudes frappantes avec le Code des Compagnons du Roi Arthur, le Code de la Chevalerie et avec les Règles de la Guilde de Saint-Georges, formulées naguère par le noble et chimérique Ruskin.
Mais qu’importe ? La pratique ici nous intéresse seule.
Or, à la pratique, cette Loi a du bon :
« Tout ce que le Scout s’engage à faire, observe avec raison Sir Hugh Macdonald, est ce que sa mère voudrait lui voir faire ». Ce n’est pas déjà si mal.
Et malgré ses imperfections, elle rend : ses produits, les vrais Scouts, lui font honneur. Chose curieuse, les Associations qui lui avaient substitué des Codes de leur invention, peu à peu les abandonnent pour se rapprocher de l’original. Et la raison, je la trouve dans une remarque judicieuse de Mgr Butt, évêque auxiliaire de Westminster : c’est que, n’exprimant que les principes fondamentaux de la loi naturelle, la Loi Scoute forme la base la plus solide sur laquelle chaque confession peut construire une éducation surnaturelle. Il n’y a rien à y modifier : il suffit de la pratiquer dans un esprit chrétien ».
Ainsi l’ont compris les Scouts catholiques d’Angleterre et du continent qui, presque partout, ont adopté le texte de Baden-Powell.
Pour nous, Français, n’allons lui faire ni mérite ni blâme de nous revenir d’outre-Manche ; contentons-nous de la relire dans ces recommandations qu’adressait à son fils une mère d’un autre âge :
« Pierre, mon amy, vous allez au service d’un gentil prince. D’autant que mère peut commander à son enfant, je vous commande trois choses tant que je puis, et si vous les faites, soyez assuré que vous vivrez triomphamment en ce monde :
– La première, c’est que devant toutes choses, vous aimiez, craigniez et serviez Dieu, sans aucunement l’offenser...
– La seconde, c’est que vous soyez doux et courtois à tous gentilshommes, en ôtant de vous tout orgueil.
– Soyez humble et serviable à toutes gens.
– Ne soyez maldisant ni menteur.
– Fuyez envie, car c’est un vilain vice.
– Soyez loyal en faits et dits : tenez votre parole.
– Soyez secourable à pauvres, veuves et orphelins, et Dieu vous le guerdonnera. »
Le petit page, qui partait à treize ans pour la Cour de Savoie, avec le viatique de ces conseils maternels, s’appelait Pierre de Bavard, et la chevalerie n’a pas connu plus belle fleur, ni plus française.
Concluons donc en disant que si la Loi Scoute n’est pas le remède à tous les défauts de l’adolescence, l’expérience montre que, en bonnes mains, elle agit comme un levier puissant qui soulève cette jeunesse au-dessus des mesquineries morales et l’aide à corriger ses défauts.
C’est elle, après tout, et elle seule, qui fait le Scout, et, sans elle, il ne serait qu’un garçon vêtu de kaki. Mais si le Scoutisme ne peut se passer d’elle, elle peut se passer du Scoutisme et entrer partout comme code de formation morale nettement surnaturelle. Je sais des directeurs de conscience qui en ont vu les heureux résultats chez leurs « fils spirituels », et des ligues eucharistiques de jeunes filles où le nombre des communions n’a pas diminué le jour où la « Bonne Action » y fut mise en honneur.
C’est avec la confiance que donne la pratique de la chose que je me permets de dire aux sceptiques : Essayez et vous verrez.
Source : "Le Scoutisme, Etude documentaire et applications" par le RP Jacques Sevin, aux Editions Spes, 1930.
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