Quelques leçons de vie d’un Tour du Monde à la voile
Navigateur chilien, Felipe Cubillos (décédé en 2011) a écrit ce texte quelques heures avant de franchir la ligne d’arrivée de son Tour du Monde à la voile. Il y décrit de façon simple ce qu’il a appris de ce tour du monde et donne à ses lecteurs ce qu’on pourrait appeler des leçons de vie, tirées de sa propre expérience.
Le texte d’origine étant en espagnol, sa traduction est approximative.
Bonjour à tous,
Nous sommes maintenant à moins de 24 heures de la fin de la régate du tour du Monde, et quand vous allumerez vos ordinateurs, il est possible que nous ayons une avance proche de 150 miles, beaucoup d’entre vous penseront que nous avons gagné cette étape, du début à la fin. Nous aimerions beaucoup qu’il en soit ainsi, mais l’expérience nous enseigne qu’il faut attendre, et que c’est à l’arrivée que les régates se gagnent, ou se perdent.
[...] Comme à partir de maintenant, nous aurons peu de temps pour écrire, je voudrais partager avec vous tous, fidèles suiveurs de la Colorina, mes sentiments et mon vécu tout au long de ce voyage. […]
A [nos sponsors], et aux dizaines d’amies et amis qui nous ont aidés à concrétiser ce rêve, d’infinis remerciements et de façon très particulière à « el Negro » qui est un grand marin, un grand navigateur et un grand compagnon?.
Depuis que j’ai commencé à écrire, une fois la régate commencée, je me suis donné un seul objectif, celui de vous raconter sans filtre ce qui nous arrivait et ce qui traversait nos esprits et nos cœurs.
Je reconnais que je n’ai pas respecté complètement ce principe, surtout en Mer du Sud, quand nous étions très près de nous retourner, […] mais c’était pour une noble raison : nous ne voulions pas inquiéter nos familles plus que le nécessaire. Mais de façon générale, le récit qui a commencé par un mail envoyé à une vingtaine d’amis et qui en est déjà à des milliers de copies, est une histoire assez proche de celle que nous avons vécue pendant ces 9 mois de régate autour du Monde. J’espère que ce récit aura servi à quelqu’un, et dans ce cas-là, tout ceci aura eu du sens, naviguer aura été un peu plus que juste laisser des étoiles dans la mer.
Nous avons subi l’échec, l’agonie et la peur, nous avons savouré le succès et les émotions les plus profondes, la force de la nature nous a captivés et nous nous sommes surpris nous-mêmes concernant nos propres capacités et surtout notre résistance physique et émotionnelle ; nous avons admiré la noblesse de nos rivaux et comme dans toute entreprise humaine, nous avons vécu des réussites et commis des erreurs.
Voici un court résumé de ce que j’ai appris, ou redécouvert, pendant tout ce temps […] :
1.. Au sujet des enfants, définitivement, ce ne sont pas les tiens, aime-les seulement, et essaye de les éduquer par l’exemple, et si tu peux, transmets-leur le désir de réaliser leurs rêves, et pas les tiens. Et n’attends pas d’eux qu’ils te remercient de tout ce que tu fais pour eux ; ce remerciement viendra bien des années plus tard, peut-être quand alors tu seras devenu un grand-père/une grand-mère (c’est là qu’ils sauront alors ce que c’est que d’être père/mère). Mais si entre temps, ils parviennent à te dire qu’ils sont fiers d’être ton fils/ta fille, considère-toi récompensé au centuple. Et si l’un d’eux devait partir avant toi, qu’au moins tu te consoles en pensant que tu lui as dit très souvent combien tu l’aimais.
2.. Concernant tes parents, n’arrête jamais de les remercier de t’avoir amené à ce monde merveilleux et de t’avoir donné ne serait-ce que la possibilité de vivre, rien que ça, vivre !!!
3.. Concernant la mer, le vent et la nature, admire-la et protège-la, elle est unique et nous n’en avons pas d’autre. Et la mer et le vent, n’essaye jamais de les vaincre, et encore moins de les défier. Ils gagneront toujours. Si tu veux être un navigateur, habitue-toi à vivre en crise permanente.
4.. Concernant les limites, elles n’existent pas, ou alors elles sont bien plus loin que ce que tu imagines. Combien plus loin ? C’est la question, il faut aller à l’extrême, c’est là que tu le découvriras.
5.. Au sujet du talent, il ne sert à rien s’il n’est pas accompagné de détermination, planification, discipline et persévérance. Le talent est éphémère, la détermination, éternelle.
6.. Concernant l’amour, remercie l’univers si tu te réveilles tous les matins avec un baiser et un sourire. Et fais comme les abeilles et les papillons, qui ne cherchent pas la fleur la plus belle du jardin, mais celle qui a le plus grand contenu.
7.. Concernant la société, on aide toujours ceux qui demandent et vocifèrent, mais ceux de qui je parle, ils ne demandent pas d’aide, ils ont juste besoin d’une opportunité. Je rêve encore d’une société plus juste et plus humaine.
8.. Concernant le leadership, ce qui manque dans le monde actuel, ce sont ces leaders qui faisaient ce qu’il faut faire et disaient ce qu’il faut dire, sans attendre de résultats immédiats dans les sondages. Je parle de ceux qui tracent un chemin, pas ceux qui suivent les masses.
9.. Concernant la richesse, une fois que tu as financé ton fonds de caisse, essaye d’acheter plus de temps que d’argent, et plus de liberté que d’esclavage.
10.. Concernant l’angoisse et l’amertume, quand tu crois que ce n’est pas possible, que les problèmes t’accablent, que tu n’en peux plus, donne-toi un instant pour regarder les étoiles et attends l’aube éveillé, alors tu découvriras que le soleil apparaît toujours, toujours !!!
11.. Concernant le triomphe, si tu veux triompher, tu dois être prêt à échouer mille fois et prêt à perdre tout ce que tu auras rassemblé. Et ne crains pas de tout perdre, car si tu l’avais bien gagné, tu le récupèreras forcément au centuple.
12.. Concernant le présent, vis-le intensément, c’est l’unique instant qui importe vraiment, ceux qui vivent cramponnés au passé sont déjà morts et ceux qui vivent en rêvant au futur, eux ne sont pas encore nés.
13.. Concernant le succès et l’échec, reconnais-les comme deux imposteurs mais apprends surtout des échecs, les tiens et ceux des autres, il y a là trop de connaissances qu’on n’utilise pas généralement.
14.. Concernant les amis, choisis ceux qui sont avec toi quand tu es au sol, car quand tu seras dans la gloire, tu en auras trop.
15.. Concernant l’équipe, motive-la dans les moments difficiles et ne laisse jamais l’un de ses membres t’abandonner parce qu’il a fait une erreur, c’est celui-là le plus important.
16.. Concernant ton pays, aime la terre qui t’a vu naître, travaille pour faire de ton pays un endroit meilleur pour tous, et brandis ton drapeau avec fierté, quel qu’il soit […].
17.. Concernant l’effort, ne renonce jamais, ne t’imagine pas que quand quelque chose coûte beaucoup c’est parce qu’il ne doit pas arriver, c’est juste l’Univers qui te met à l’épreuve pour voir si tu mérites ou pas le succès.
18.. Concernant la peur, ne la crains pas, c’est un grand compagnon, mais qu’elle ne t’immobilise pas, et ne crains pas d’être fou ou ridicule : l’histoire nous enseigne que les grands apprentissages et les impressionnantes découvertes sont le produit de ces instants.
19.. Concernant Dieu et le Ciel, je crois que si on agit en faisant le bien, on peut être sur la liste d’attente si le Ciel existe, et s’il n’existe pas, on aura eu notre propre ciel sur cette Terre. Et Dieu, je ne l’ai pas trouvé seulement dans la Mer du Sud, dans les nuages, les tempêtes, les vagues, ni dans l’objectif ni dans les départs ; il a toujours été avec nous, au fond, tout au fond de nous.
20.. Quand tu as des doutes sur ce que tu dois faire, demande-toi quel est ton Cap Horn, équipe-toi d’un petit sac à dos avec juste le nécessaire pour survivre et commence à marcher. N’arrête jamais de regarder le ciel, alors tu découvriras l’albatros, qui t’apprendra à décoller avec effort et à voler en liberté. Et tu te rendras compte que tu n’as pas besoin de voler en bande.
21.. Ne renonce jamais, jamais à tes rêves, poursuis-les passionnément et si tu ne les atteins pas, peu importe, rien que le fait de parcourir ce chemin aura valu la peine de vivre ; et pourvu que le rêve que tu poursuis soit le rêve impossible.
22.. Si tu as la chance un jour d’affronter des rivaux de la taille de ceux que nous avons affrontés pendant cette régate, honore-les, admire-les, mais donne tout ce que tu as pour les vaincre en bonne lutte, car ils le méritent.
23.. Si le jour de ma mort, on me donne la possibilité de renaître, je choisis d’être un albatros et de voler dans la Mer du Sud, et de regarder les intrépides navigateurs qui risquent leur vie et quittent tout à la recherche de leur rêve, à la recherche de leur rêve impossible.
24.. Et ne prends jamais trop au sérieux un navigateur qui termine un Tour du Monde, il sait juste naviguer un peu plus, rien de plus !!
Felipe Cubillos
Publié le (mis à jour le )
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