S’engager

Jean-Marie Petitclerc

Suite la fusion en 2004 des Scouts et de France et des Guides de France, le thème de l’assemblée générale est l’engagement, avec pour but d’avancer sur le texte de l’engagement des responsables Scouts et Guides de France.

Jean-Marie Petitclerc intervient alors pour présenter sa vision de l’engagement en ouverture de l’assemblée générale.

C’est ce texte que nous te proposons ici. Il permet aussi de nourrir ta réflexion sur la notion d’engagement scout ... ou d’engagement plus généralement !

S’engager n’est pas une chose facile pour les jeunes d’aujourd’hui dans
cette société qui privilégie le zapping et le portable. A la moindre difficulté,
on préfère changer d’activité, de partenaire, d’orientation plutôt que
persévérer. On préfère s’appeler plutôt que s’écrire.

S’engager, c’est difficile car cela signifie dire oui : oui à un conjoint, oui à un
choix de vie, oui à une orientation professionnelle, oui à un service associatif
ou humanitaire. Dire oui, c’est forcément prononcer mille nons à d’autres
choix possibles et tant de jeunes rêveraient que tout soit toujours possible.

Pourtant, s’engager c’est, je crois, la seule manière de pouvoir construire du
sens à sa vie, car on ne peut pas construire du sens dans l’instant ; cette
question du sens devient si centrale dans notre société d’aujourd’hui où tant
d’adolescents sont ravagés par la déprime ou les idées suicidaires.

S’engager et vérifier l’expérience des disciples d’Emmaüs, c’est forcément se
situer au carrefour de la relecture du passé et de l’ouverture sur l’avenir.
La seule manière, peut être, de pouvoir construire le bonheur, c’est
d’emprunter ce chemin de l’engagement. L’engagement, ce n’est pas
d’abord une exigence morale. L’engagement, c’est un chemin de bonheur.

Alors, puisque vous me faîtes le bonheur et la joie d’ouvrir votre assemblée,
permettez-moi brièvement de réfléchir un peu avec vous sur ce qui,
aujourd’hui, fait obstacle à l’engagement des adolescents, des jeunes dans
la construction de la société et de l’église de demain et, dans un deuxième
temps, fort de tout ce que m’a apporté le scoutisme, à la fois dans ma vie
professionnelle d’éducateur spécialisé et dans ma vie religieuse de prêtre
salésien, je voudrais qu’ensemble nous prenions conscience de cette chance
qu’est le scoutisme pour les enfants, les adolescents, les jeunes d’aujourd’hui.

S’engager, c’est difficile, car s’engager c’est d’abord croire.

Croire en soi, avoir confiance.

Combien c’est difficile pour l’enfant d’aujourd’hui immergé dans un système
scolaire qui, bien souvent a tendance à pointer ce qui ne va pas, plutôt que
ce qui va.

Combien c’est difficile à l’adolescent d’aujourd’hui, face à la télévision qui
ne cesse de balancer des images de stars médiatisées laissant supposer que
si nous ne pouvons atteindre ce niveau de célébrité, c’est que vraiment, nous
sommes nuls.

Le défi c’est la confiance, car seul celui qui croit en lui peut oser croire en
l’autre.

S’engager, c’est difficile car c’est aussi espérer. On ne peut pas s’engager
pour le moment présent, on s’engage toujours aujourd’hui pour demain, ce
qui nécessite d’être capable de se projeter dans l’avenir et nous touchons là
des yeux, une des raisons essentielles du mal être de notre jeunesse qui bien
souvent réside dans le regard négatif que les adultes portent sur demain.
Étrange France d’aujourd’hui.

Je me souviens, j’avais 9 ans en 1962. Mes parents avaient connu les affres du
débarquement en Normandie, la ruine de leur belle ville de Rouen et c’est
terrible à 20 ans de voir en ruine tout ce que l’on a construit. On était en plein
blocus de Cuba, menace de guerre nucléaire entre les Etats Unis d’Amérique
et l’Union soviétique et le monde était au bord du cataclysme, ce n’est pas
140 kilos de plutonium qui circule sur les routes de France dans un camion
blindé. Et pourtant, je me souviens, l’enfant que j’étais le soir en s’endormant,
en feuilletant les dernières pages de son encyclopédie rêvait de la voiture de
l’an 2000, du robot de l’an 2000, de la fusée de l’an 2000.

Sondage effectué aujourd’hui auprès de jeunes de 12-13 ans : à quoi vous
fait penser demain ? Les 3 premières images associées sont la peur de la
pollution, la peur du chômage, la peur du terrorisme. Combien il est difficile
de grandir dans une société qui se projette négativement sur demain.
Combien il est difficile de s’engager dans une société qui semble parfois avoir
perdu confiance en son avenir et qui pense que la seule voie possible serait
la nostalgie du passé.

S’engager, enfin, c’est difficile car s’engager c’est aimer. Aimer celle, celui,
ceux auprès de qui on s’engage et il n’est pas de plus grand amour que de
donner sa vie pour ses amis, et donner sa vie, c’est d’abord donner son
temps, car donner son temps, c’est donner de soi-même. Donner de son
temps, c’est donner ce que l’on est et combien il est toujours plus difficile de
partager ce que l’on est, plutôt que partager ce que l’on a.

Alors, le scoutisme, votre scoutisme à bâtir, notre scoutisme à bâtir aujourd’hui
pour demain avec ces jeunes d’aujourd’hui qui seront les adultes de demain.
Vivons ce scoutisme de l’engagement, combien notre société a besoin de
cette école de l’engagement. Quelle merveilleuse pédagogie. La
pédagogie scoute est d’abord une pédagogie de la confiance. Confiance
que fait le mouvement a des jeunes de 17, 18 ou 20 ans, leur confiant la
responsabilité de l’encadrement de ces enfants, de ces adolescents alors
que parfois tant d’adultes fuient leurs responsabilités éducatives, alors que
nous vivons dans une société vieillissante où bien souvent l’âge de la
responsabilité est reportée aux calendes grecques.

Des chefs qui font confiance aux enfants, aux adolescents qui leur sont
confiés, quel que soit le niveau de leurs performances scolaires, quel que soit
le niveau social d’appartenance, quelle que soit leur possibilité de réussir
auprès des autres. Cette confiance faite à chacun et en particulier à celui
qui rencontre des difficultés sur ce difficile et parfois douloureux parcours qui
le mènera de l’enfant à l’âge adulte.

Et où puise-t-on ce secret de la confiance ? Vous savez, on ne peut avoir
confiance en soi, qu’en sentant sur soi le regard de confiance d’un autre.
Votre plus beau rôle de chef, en faisant confiance à ces enfants et ces
adolescents, c’est de leur permettre de prendre confiance en eux, et le
secret de cette confiance où pouvez-vous le puiser si ce n’est dans cette
confiance que Dieu fait à l’homme.

La pédagogie scoute, c’est une pédagogie de l’espérance, une pédagogie
du projet. Ce projet qui est au cœur de vos outils pédagogiques. Ces projets
qu’on élabore ensemble, ces projets qu’on réalise ensemble, ces projets
qu’on évalue ensemble.

Se projeter, c’est forcément prendre confiance en l’avenir. Des projets dont
la durée peut être celle du trimestre pour les plus jeunes du mouvement, une
année pour les plus grands et j’espère une vie pour les aînés.
Et où pouvons-nous puiser ce secret de l’espérance qui nous permet de nous
mettre en projet ? L’enfant le plus malheureux est celui qui vit sans projet.
Nous le puisons dans ce royaume qui ne cesse de pousser qu’il pleuve ou
qu’il fasse beau.

La pédagogie du scoutisme, c’est une pédagogie de l’alliance. Faire vivre
l’alliance à tous ces enfants, tous ces adolescents, au sein des équipes, au
sein des groupes. Vivre la différence comme une richesse et non pas comme
une menace. L’alliance entre des adultes et des jeunes au sein d’un même
mouvement, c’est ce que je trouve remarquable et il n’y a pas une
pédagogie pour les adultes, une pédagogie pour les enfants. Tous, vous vivez
du même esprit.

Combien je tremble parfois lorsque j’entends des collègues professionnels de
l’éducation, que ce soit dans l’enseignement ou dans le monde de
l’éducation spécialisée. Je les entends dans leur salle de prof ou leur salle de
réunion me parler du moment où ils vont à nouveau devoir monter sur le front.
Considérer les jeunes dans une position d’adversaire ; l’adulte qui serait là
quelque part pour gagner un combat. Non, le scout c’est celui qui vit
l’alliance. Voir dans le jeune non pas un adversaire, mais un ami.

Et vingt cinq années de pratique du métier d’éducateur spécialisé m’ont fait
découvrir chaque jour davantage combien le comportement de l’enfant et
de l’adolescent est dépendant du regard que l’on porte sur lui.

Si tu vois dans le jeune un problème, il te posera problème. Si tu vois dans le
jeune une chance, il sera pour toi une chance. Si tu vois dans le jeune un
adversaire, il te combattra. Si tu vois dans le jeune un ami, il t’épatera.

Combien il me fait mal aujourd’hui d’entendre à nouveau parfois dans la
bouche d’enfants, d’adolescents, de jeunes, ce mot de racaille pour
désigner d’autres jeunes. Il me semblait que ce genre de mot appartenait au
XIXe siècle, le voir reprendre une actualité en ce début du XXIe siècle me
paraît tout à fait scandaleux.

Vous savez, ce qui aujourd’hui me fait le plus peur dans mon pays, c’est de
voir que cette fracture dont on nous parle tant, commence à opérer au sein
des jeunes. A toutes les époques de l’histoire, les adultes ont su creuser des
fossés entre ceux qui ne pensent pas comme eux, qui ne parlent pas comme
eux, qui ne prient pas comme eux, qui ne votent pas comme eux, mais à
chaque époque de l’histoire, les jeunes ont su bâtir des ponts là où les adultes
ont creusé des fossés. C’est la jeunesse franco-allemande qui a permis la
réconciliation. Alors, vous les scouts, dans cette société où la fracture tend à
agréger des groupes associaux, soyez ces bâtisseurs d’alliance.

Oui, vivons un scoutisme d’engagement.

Chaque fois qu’il m’est donné de m’adresser à des enfants ou des
adolescents scouts, j’aime leur rappeler que l’on est pas scout seulement
lorsque l’on porte sa chemise ou lorsqu’on est en activité chez les scouts. On
est scout tout le temps : en famille, à l’école, dans le quartier. C’est ce
scoutisme d’engagement qu’il nous faut bâtir ensemble car notre société en
a besoin.

Dans cet environnement qui est celui des jeunes d’aujourd’hui, où tant
d’adultes sont prêts à leur conseiller de faire simplement du scoutisme une
activité intéressante à mener le jour où il n’y a ni entraînement de football, ni
boum d’anniversaire, s’engager, c’est rester dans cet état d’esprit. Et j’espère
que votre mouvement, et je m’adresse principalement à ses responsables,
saura résister aux pressions insidieuses d’un état qui voudrait peu à peu
réglementer le scoutisme à la manière d’un banal centre de vacances et de
loisirs.

S’engager c’est aussi oser, et oser, c’est risquer.
Le drame de notre société moderne, c’est que nous voulons nous assurer
contre tous les risques. On voudrait éduquer à risque zéro. Mais une
éducation sans risque est l’éducation la plus risquée qui soit car elle forme
des irresponsables. Il faut prendre conscience aujourd’hui des effets négatifs
sur l’avenir de nos enfants et de nos adolescents de cette idéologie
pernicieuse d’un principe de précaution érigé en norme absolue.

Là encore, le professionnel de l’éducation spécialisée que je suis attend de
votre mouvement qu’il résiste. Hypocrisie de notre société où une surréglementation
interdit de plus en plus à un enfant, un adolescent de
partager un risque avec l’adulte. Et voici que je constate cette fin de
semaine dans la cité que des adolescents vont courir des risques extrêmes
dans des rodéos et des rixes incontrôlables, mais tout le monde s’en fout
puisque aucun adulte n’est responsable.

Oui, s’engager, c’est risquer.

Alors, puisqu’est venu pour moi le temps de conclure, je voudrai vous dire
que 25 années de pratique de métier d’éducateur spécialisé, m’oblige à
vous dire que vous êtes des gardiens de ce trésor pour l’Eglise et pour le
monde qu’est la pédagogie scoute.
Dans cette société où l’enfant est de plus en plus réduit à un statut scolaire
dans l’école et un statut de consommateur potentiel dans les espaces
publics, voici que vous a été confiée une pédagogie où triomphe le respect
de l’enfant, de sa dignité et de sa grandeur. Alors changez tout, qu’importe !

Changez les appellations de vos territoires, changez la couleur de vos
chemises, changez vos insignes, changez votre logo, mais gardez-nous -de
grâce- gardez-nous, battant dans des milliers de poitrines, ce cœur de Baden
Powell prêt à tout pour continuer d’aimer et de sauver des gosses.

PS

Lors de Graines de Diversité, en 2010, Jean-Marie Petitclerc est aussi intervenu et a marqué les esprits, sur l’ouverture à l’autre cette fois-ci.

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