L’uniforme le plus humble du Congo
Questions à Simone Bazos
C’est un reportage exceptionnel paru le 21 août sur le site RoadsAndKingdoms.com que nous te partageons, avec l’autorisation de son auteur, Pauline Eiferman. Originellement en anglais, nous te le traduisons.
Nous te recommandons également fortement d’aller voir les photos en grand format sur le reportage d’origine. Elles sont magnifiques et sont l’œuvre de Simone Bazos. Tu connais notre goût pour les photos, ce n’est pas une vaine recommandation :)
Allez, viens découvrir les scouts de la République démocratique du Congo, un pays à la situation politique très compliquée !
Toutes sortes de troupes marchent dans la ville de Goma. Les militaires, la police, les gardiens de la paix et soldats de l’ONU. Et puis, il y a les scouts. Ramenée depuis l’Afrique du Sud au début du 20ème siècle, l’institution des Scouts et Guides a survécu à travers les guerres et la censure, apportant une structure à une jeunesse instable, et une alternative à la violence. Vers 2010, le pays compte plus de 71 000 scouts. La photographe Simone Bazos a vécu en République Démocratique du Congo pendant 6 mois l’an dernière. Intriguée par leur modestie et leur sens de la communauté, elle a passé du temps parmi leurs rangs. Elle raconte à RoadsAndKingdoms de Baltimore.
NDLR : les scouts sur les photos semblent être des Xaveri, un mouvement de jeunesse catholique qui s’habille comme des scouts, fait beaucoup de choses comme des scouts, mais n’est pas reconnu comme scout (on connait bien le sujet en France ;) ). La photographe a côtoyé plusieurs groupes différents, dont, tu le liras plus loin, des scouts du mouvement reconnu. Ce qu’elle raconte est la synthèse de toutes ces rencontres.
Roads & Kingdoms : qu’est ce que cela fait de travailler au Congo ?
Simone Bazos : c’était vraiment le plus inspirant et le plus beau lieu où j’ai pu me rendre. J’ai couvert la fin de la guerre et, alors que c’était déjà un travail très excitant, je souhaitais pouvoir rester plus longtemps pour voir comment les choses évolueraient une fois la guerre officiellement finie. Je suis resté en contact avec la plupart de mes amis là-bas et il apparait que beaucoup de choses ont déjà changé.
R&K : peux-tu(*) décrire ta première rencontre avec les scouts ?
Bazos : je savais qu’ils étaient en sortie chaque dimanche matin pour assurer la sécurité des églises autour de la ville. Alors, j’ai quitté ma maison vers 6h30 un dimanche matin et j’ai presque marché 1km avant que je trouve une troupe qui marchait au milieu de la route. J’ai demandé à parler à leur chef, l’enfant le plus vieux, il avait 16 ans. J’ai demandé si je pouvais prendre des photos, il a dit oui. J’ai commencé à aller à leurs réunions aussi souvent que je pouvais. Ils étaient heureux de voir que quelqu’un s’intéressait à eux.
R&K : quels types d’activités faisaient-ils ?
Bazos : la nécessité d’un groupe comme les scouts était certainement plus grande du fait de la guerre. Ils imitaient un peu le style militaire, mais ils étaient des enfants au grand cœur, ayant besoin d’être encadrés et de se changer les idées. Une bonne partie de leurs réunions comprenait des chants et des danses. Quelques fois, un des chefs d’équipe apportait un livre et lisait une partie aux autres enfants, parfois des histoires de la Bible, parfois un vieux livre scout. La plupart des réunions comportaient un enseignement. Si ce n’était pas via la lecture, il arrivait que le chef fasse un exposé sur les plantes médicinales ou sur comment aider les personnes âgées. D’autres fois, il y avait des démonstrations de techniques, par exemple comment faire une civière en utilisant un foulard scout et quelques bâtons. La plus part du temps c’était des sujets très pratiques.
R&K : qui étaient ces chefs ?
Bazos : il y avait 3 ou 4 chefs jeunes par troupe. La plupart d’entre eux n’allaient plus à l’école. L’un vendait des arachides dans la rue, l’autre travaillait dans des constructions de base à Goma. Les chefs aident les plus jeunes, lacent leurs lacets, mettent leurs chapeaux et foulards correctement. Ils sont vraiment très humbles. Il y a beaucoup d’adolescents à Goma qui ne sont pas comme eux, qui sont très branchés mode et sports, comme la plupart des ados partout. Mais les adolescents les plus vieux me paraissent vraiment spéciaux. Ils voulaient répandre la bonté sur les autres plus jeunes enfants - le plus jeune avait 3 ans. Les chefs adultes avaient entre la vingtaine et la soixantaine d’années. Au Congo, scout un jour, scout toujours. Beaucoup se sont mariés et même ont été enterrés dans leur uniforme scout.
Je me demandais si les scouts congolais faisaient des nœuds, plantaient la tente et mangeaient dans les bois.
R&K : Est-ce que tu connais un peu l’histoire des Scouts du Congo ?
Bazos : Un des adultes m’a raconté l’histoire telle qu’il la connaissait, mais je n’ai jamais vraiment été capable de la vérifier. Apparemment le scoutisme est arrivé en RDC en 1924 à Lubumbashi. Il venait d’Afrique du Sud, où il a été introduit un peu plus tôt. Le livre de Baden Powell "Aids to Scouting" [Éclaireurs - NDLR] a été amené en Afrique du Sud en 1907. Les scouts ont aussi été bannis pendant 14 ans je crois sous l’ère Mobutu ["président" du Congo de 1965 à 1997 - NDLR]. Il avait remplacé l’association scoute par une association de jeunesse. Il y a une connotation très religieuse encore, à Goma tout du moins.
R&K : Pourquoi photographier les scouts ? A titre personnel, que penses-tu de leur rôle dans l’Histoire du Congo ?
Bazos : Les Scouts sont tellement emblématiques. Je n’ai jamais été guide. Je me souviens de ma mère qui me racontait des histoires de quand elle l’était. Quand j’étais une enfant, je n’avais pas réalisé que c’était une organisation internationale. Et ces dernières années, il y avait tellement de controverses autour des scouts aux USA que je voulais juste voir quel sorte de scoutisme il pouvait y avoir au Congo. Je me demandais si les scouts faisaient des nœuds, plantaient des tentes et partaient au fond des bois. Ils faisaient des choses que j’associais à mon image stéréotypée des scouts, mais ils faisaient beaucoup plus. Et ce qu’ils faisaient correspondait à leur environnement. Mon principal sujet d’intérêt était comment la vie continuait pendant la guerre. Les scouts étaient un bon exemple de cela. Ils ont continué à avoir leurs réunions. Un des adultes m’expliquait comment ils avaient continué à être en mesure de se réunir même quand le M23 a repris Goma en novembre 2012 [une force armée rebelle au Congo, explication ici - NDLR].
Il y avait tellement de choses à faire, en grande partie du fait de la guerre et de la faillite des institutions.
R&K : Quelle était la vie quotidienne ?
Bazos : La vie a continué comme d’habitude pour la plupart des gens. De ce que j’ai compris, M23 vient de mettre en place, évidemment temporairement, des structures parallèles comme certains de leurs soldats qui agissent comme des officiers de police. Plusieurs de mes amis qui étaient présents pendant la reprise de Goma par M23 disaient que tout était presque pareil, juste avec visages différents et d’autres uniformes. Je pense en particulier que dans un endroit qui a été si longtemps pris dans un conflit, passé un moment, cela finit par devenir normal. La ville elle-même est presque isolée aussi. Les gens qui vivent à tout juste 15 km à l’extérieur de Goma ont une expérience totalement différente. Un très grand nombre de personnes de la province du Nord Kivu ont été déplacées. Conduire parmi ces zones alors que le conflit perdurait était étrange, comme si on traversait des villages fantômes. Il y a eu cette semaine, à la fin août / début septembre, où des obus tombaient dans la ville. C’était intrigant parce que tu pouvais entendre d’énormes explosions, mais de ce que j’ai vu, les gens étaient impassibles. Je suis allée dans certains de ces sites qui ont été bombardés peu de temps après que ce soit arrivé, et il y avait des petits groupes de gens qui cherchaient à voir ce qui s’était passé. Cela ressemblait plus à un spectacle pour eux, qui n’avaient pas été directement touchés. Quelques jours après l’arrêt des bombardements, il y a eu d’énormes manifestations dans la ville contre l’ONU. La population trouvaient que les Nations Unies ne faisaient pas ce qu’il fallait pour les protéger. Mais le lendemain, tout le monde était de retour au travail, comme si la manifestation n’avait jamais eu lieu.
R&K : Qu’est ce qui a changé depuis dans le pays ?
Bazos : Un des plus grands changements que j’ai vu a eu lieu la semaine après que la guerre a été officiellement arrêtée. J’ai accompagné un convoi de l’ONU à travers toute la région, et c’est une des choses les plus étonnantes que je n’ai jamais expérimenté. Les gens commençaient juste à revenir à leurs maisons, pour la première fois depuis des années. Les villages fantômes étaient à nouveau peuplés.
R&K : Tu disais que la nécessité de groupes comme les scouts était plus grande à cause de la guerre, pourquoi ?
Bazos : Ces enfants n’avaient pas grand chose à faire, en grande partie du fait de la guerre et de la faillite des institutions du pays. Du faut aussi de l’absence des parents, de l’école et des activités, la nécessité d’un groupe tel que les scouts a progressivement augmenté. Les scouts apportent de la stabilité, un cadre social sain, un but pour ces enfants qui, autrement, se sentiraient dévalorisés. En outre, ils observent les soldats et veulent prendre part à quelque chose de plus grand qu’eux. Les scouts leur permettent de le faire sans se mettre en danger. Un des chefs scouts adultes me disait que faire rejoindre les enfants aux scouts leur évitait de devenir des enfants soldats.
R&K : Comment pourrait évoluer leur rôle, maintenant que le climat politique est différent ?
Bazos : Même si la guerre est finie, on ne peut pas dire que le Congo est un pays où règne la paix. Les scouts mettent un grand accent sur l’autonomie, la solidarité, le développement et l’environnement — ils peuvent passer quelques après-midis à ramasser les ordures et à nettoyer — alors ils ont une mission importante et il y a beaucoup de travail à faire. Je pense que c’est vraiment intéressant de voir qu’à Goma, un lieu avec des centaines d’ONG [organisations non gouvernementales, exemple : Croix Rouge, Médecins Sans Frontière - NDLR] et un des plus grands contingents de l’ONU au monde, les scouts ne soient pas subventionnés du tout. Dans une des troupes où j’ai passé beaucoup de temps, à chaque rencontre, chaque membre apportait un morceau de charbon. Au bout de 2 semaines, un des enfants repartait avec une grande pile de charbon.
Le sens de la communauté parmi ces enfants était tellement développé, tellement plus que n’importe quel enfant que j’ai rencontré aux USA. Ils m’ont vraiment inspirés.
Pour conclure, nous te redonnons les liens à visiter absolument :
- le reportage d’origine par Pauline Eiferman avec les exceptionnelles photos en grand format,
- La galerie photo de Simone Bazos, qui vaut le coup de s’y attarder, vraiment :)
Merci encore de leur aimable autorisation de reproduction / traduction.
(*) LaToileScoute a fait le choix de traduire le "You" en "Tu" dans le ton habituel scout et de LaToileScoute.
NB : instant culture, ne confonds pas Congo et Congo. On parle ici de la République Démocratique du Congo, ex-Congo belge, et non du de la République du Congo, ex-Congo français. Pour en savoir plus, Wikipedia !
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