32 routiers traversent la Manche à la nage
C’était 2 ans après la guerre !
En 1947, 32 routiers? provenant de toute la France, réussissent le défi de traverser la Manche, en relais. Cela a nécessité la mobilisation de nombreux scouts mais aussi de deux navires de la Marine Nationale pour les accompagner.
Alors que la plupart des jeunes français et françaises savaient à peine nager, les routiers? se lancent un défi en 1947 :
Et si on déposait le drapeau du Jamboree de la Paix en Angleterre ?
A la nage.
Ah bah oui, pourquoi y aller en bateau tiens ! Quelle drôle d’idée !
Un petit film amateur stocké aux archives du Val de Marne raconte cet exploit, ainsi qu’article dans la revue La Route. Jean-Jacques Gauthé, historien du scoutisme, a commenté ce film pour les Archives du Val de Marne. Nous le reprenons ici.
On y voit dans ce film fou entre autres choses plus détaillées par Jean-Jacques Gauthé plus bas :
– une voiture d’époque, équipée bizarrement vu de notre siècle pour faire Clermont-Ferrand / Calais
– des entrainements de natation avec des plongeons qui font mal au ventre
– des gens qui frottent le corps de routiers. Why ? Ils étalent de la graisse pour avoir moins froid dans la Manche (les combinaisons ont été inventées en ... 1953 : 6 ans plus tard)
Article de la revue La Route - Octobre 1947
32 routiers scouts de France traversent la Manche à la nage
Ils étaient 32 routiers qui la veille ne se connaissaient pas :
- 3 venaient de Périgueux,
- 10 de Clermont-Ferrand,
- 2 de Boulogne-sur-Mer,
- 5 d Amiens,
- 12 de Paris.
Ce n’étaient pas des champions. Simplement de bons nageurs entraînés avec acharnement depuis un an. L’idée en effet ne datait pas d’hier, mais bien d’une année. Et il en fallait bien autant pour obtenir un accompagnement sérieux (l’aide de la Marine Nationale fut acquise à Pâques) et pour préparer tous les détails de la traversée (problème des courants, de la marée, des vents, des roches à éviter, etc..., etc...).
Le chef Enée, en organisateur prévoyant, avait exigé des performances sévères : 1 500 m en 30 minutes. Lui-même savait que c’était dur mais il était nécessaire d’avoir une marge de sécurité, car on ne traverse pas le Pas-de-Calais comme une piscine et il faut compter avec la houle, les courants, la brume, le froid ...
Dimanche 27 juillet 1947
9h du matin. Le grand jour est arrivé. Depuis hier, les routiers sont à Boulogne. Les voici rassemblés pour entendre la Messe dans une chapelle du sanctuaire de Notre-Dame. La journée se passe à faire connaissance et à régler les derniers détails.
Lundi 28 juillet 1947
2h du matin. C’est l’embarquement sur le chasseur de sous-marins C 135 commandé par l’Enseigne de vaisseau Challines et le baliseur B 285 commandé par l’officier des équipages Boschat.
4h du matin. Voici le Gris-Nez. Sur la plage, le Commissaire général George Gauthier assiste au départ. Des torches s’allument. Les opérateurs de cinéma tournent avec ardeur. Le premier nageur saute à l’eau. L’aventure est commencée.
De son poste, le commandant du baliseur surveille la marche du canot accompagnateur monté par les scouts marins, et de son porte-voix guide le nageur. Comme prévu, le relai s’effectue environ chaque demi-heure. A mi-chemin, l’apparition de la houle inquiète tout le monde. Mais le commandant place le baliseur entre la houle et les nageurs et ceux-ci reprennent courage.
11h du matin. Les côtes anglaises deviennent visibles. La victoire est acquise. L’accueil de Douvres est enthousiaste.
Les jours suivants
Un autobus conduit au lieu de leur camp les routiers (qui boivent leur première mais non la dernière tasse de thé !). Après deux jours passés à Douvres, l’équipe se rend à Londres. Le 31 juillet, sur la terrasse du Head Quarter, le chef Enée, en anglais, présente les routiers à Lord Rowallan et lui remet le drapeau du Jamboree de la Paix. En français, Lord Rowallan répond, remercie, félicite.
Il ne reste plus qu’à visiter Londres et ... à rentrer en France, sans oublier de remercier tous ceux sans qui cet exploit n’aurait pas été possible et en particulier la Marine Nationale.
Notice explicative de Jean-Jacques Gauthé
Jean-Jacques Gauthé, historien du scoutisme, avait fait une notice pour présenter cette archive. Nous la reprenons ici, afin d’avoir des éléments de contexte.
Ce petit film muet d’un peu plus de 12 minutes déposé aux Archives départementales du Val-de-Marne par les Scouts et guides de France (SGDF?), retrace la genèse et le déroulement d’un étonnant exploit physique, la traversée de la Manche à la nage, entre le Cap Gris-Nez dans le Pas-de-Calais et Douvres en Grande-Bretagne, le 28 juillet 1947 par 32 Routiers (jeunes de 17-19 ans) Scouts de France, l’association catholique de scoutisme.
Le titre du film et le nom du ou des réalisateurs ne sont pas connus. On peut supposer qu’il s’agit du montage d’un film tourné localement à Clermont-Ferrand, d’où était originaire une partie des scouts routiers, et de séquences tournées par le quartier général des Scouts de France.
Le prétexte de cette traversée était d’apporter en Grande-Bretagne le drapeau du
6ème Jamboree, le rassemblement mondial des scouts, qui devait démarrer le 6 août 1947 à Moisson (Yvelines). 25 000 scouts venus du monde entier y étaient attendus.
La genèse de la traversée
Les premières images du film montrent l’entraînement des scouts routiers dans une piscine.
Les conditions imposées aux participants étaient sévères : parcourir 1500 mètres à la nage en 30 minutes. L’initiateur de cet exploit fut Albert Enée, commissaire aux sports des Scouts de France, professeur d’éducation physique.
Il faut se souvenir qu’en 1946-1947, l’équipement de la France en piscine était des plus limités. Peu de jeunes savaient nager, nombre de garçons n’apprenant la natation que lors de leur service militaire. L’été 1947 sera ainsi marqué par un dramatique accident, la noyade collective de 11 Guides de France de Rennes dont la plupart ne savaient pas nager.
On voit ensuite le départ du local scout de Clermont-Ferrand dans une vieille voiture Renault, surnommée La Galipotte (variété de loup-garou courant en tout sens), soigneusement décorée par les soins des routiers. Tout le matériel de camp y est chargé. L’aumônier du groupe scout apparaît dans l’un des plans pour s’en retirer précipitamment ! On le revoit un peu après quand la voiture a démarré.
La traversée
Même en été, la traversée du détroit du Pas-de-Calais (33 km dans sa partie la plus étroite) à la nage constitue un véritable exploit. L’eau reste froide, traversée par de nombreux courants qui vont gêner les nageurs. La traversée va durer plus de 10 heures, les nageurs se relayant toutes les demi-heures. On les voit dans le film s’enduire le corps de graisse pour résister au froid et sauter du bateau.
Cet exploit montre la place importante de l’activité physique et sportive dans le scoutisme de cette époque. La plupart des associations scoutes disposent alors d’instructeurs sportifs. Les Guides de France ont même fondé, dès la fin des années 1930, un réseau national d’associations sportives, affiliées au Rayon sportif féminin, la branche sportive des patronages catholiques féminins. Certains quotidiens sportifs de la fin des années 1940 publient d’ailleurs une rubrique « Scoutisme ». Cette dimension sportive du scoutisme s’est aujourd’hui estompée.
Le rôle des scouts-marins
On notera pendant la traversée la place tenue par les scouts-marins que l’on entrevoit tout le long du film. Ceux-ci portent l’uniforme scout, complété par un bâchi à pompon bleu, les marins de la Marine nationale portant un bâchi pompon rouge. Cette branche du scoutisme, apparue dès son origine, ajoute les activités maritimes à celles des scouts terriens.
Les scouts marins sont sur un canot et accompagnent le nageur. Certains plans du film montrent un scout-marin tenant la barre d’un des navires. Son insigne d’épaule est celui de chevalier-marin. On distingue nettement une couronne, caractéristique de cette qualification de très haut niveau.
L’appui important de la Marine nationale à cet exploit est également à remarquer. Deux bâtiments y participent activement, le chasseur de sous-marins CH 135 et le baliseur B 285. La Marine nationale s’est toujours intéressée aux activités des scouts-marins. Et en cet été 1947, elle est un élément central de l’aide considérable apportée à l’organisation du Jamboree par les pouvoirs publics.
Au Conseil de la République (Sénat), Pierre Bourdan, ministre de la jeunesse des arts et des lettres répond ainsi le 8 juillet 1947 à la question d’un parlementaire du Gabon l’interrogeant sur la participation des scouts de l’Union française au Jamboree :
Grâce surtout à la marine de guerre, la question est réglée pour l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Pierre-et-Miquelon, l’Indochine. Pour l’AEF, une délégation s’est embarquée le 29 [juin] à Pointe-Noire. Elle se joindra aux délégations d’AOF et du Cameroun qui doivent quitter Dakar le 10 juillet.
L’effort fut particulièrement important pour l’Algérie puisque plus de 1000 scouts furent transportés par le croiseur Georges Leygues qui quitta Alger le 31 juillet.
L’arrivée en Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, de nombreux contacts ont lieu avec les autorités et les scouts. Le drapeau du Jamboree est solennellement remis à lord Rowallan, chef du scoutisme pour l’Empire britannique et le Commonwealth de 1945 à 1959. Celui-ci le ramène en France le 7 août 1947 avec la délégation britannique au Jamboree qui arrive par bateau à Dieppe. Une photo du quotidien Jamboree-France de ce jour là le montre en train de présenter ce drapeau, lors de l’arrivée des routiers français en Grande-Bretagne.
Les dernières images du film constituent un clin d’œil : les scouts nagent en formant la croix potencée, la croix de Jérusalem, emblème des Scouts de France, que l’on a pu voir au début du film sur le local des routiers de Clermont-Ferrand.
Ce petit film, dont la diffusion exacte est ignorée, illustre, de façon synthétique, différentes facettes du scoutisme : sa dimension d’activité physique, sa dimension de formation du caractère, sa dimension internationale et sa dimension de société de jeunes s’auto-organisant.
Remerciements de Jean-Jacques Gauthé : A Gaëtan Sourice pour avoir localisé l’article paru dans le numéro de La Route d’octobre 1947, à Joseph-Henri Cardona et Janik Pikula pour les identifications d’insignes
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