1er édito des éclaireurs unionistes - Une analyse

Le Lien - Mai 68

En plein coeur des événements, pas encore achevés, les Eclaireurs Unionistes ont bousculé leur revue de Mai 68 destinée au cadres.
Exercice difficile avec le peu de visibilité du moment, sur la suite des événements comme sur la situation.

La révolte des étudiants

Le Comité de Rédaction du Lien m’a demandé, cette fois-ci, de faire un « papier » sur la Révolte des étudiants.
Etant pour quelques semaines encore étudiant et malgré des examens en cours, je n’ai pas pu refuser, bien que l’importance du sujet et son actualité me fassent un peu peur. On ne juge jamais très bien un événement au moment où il a lieu.
Cependant « la révolte des étudiants », c’est un peu un problème de toutes des époques et de tous les pays à l’heure actuelle. Il faut bien avoir quelques idées sur le sujet quand on se sent concerné, ce qui est mon cas. Je m’en vais donc vous les donner très vite en vous demandant par avance d’excuser leurs insuffisances.

LA PREMIERE IDEE, qui me vient à l’esprit, C’EST LA NÉCESSITÉ DE NE PAS METTRE SUR LE MEME PLAN TOUS LES MOUVEMENTS ÉTUDIANTS, qui font parler d’eux à l’heure actuelle. Ainsi quand les étudiants de Bogota ou de Madrid manifestent, c’est essentiellement pour réclamer un changement précis dans la politique du pays, un changement qui a trait à la liberté politique et au régime économique et social. Là ce sont les Américains qui sont pris à partie pour le soutien qu’ils accordent à la classe dirigeante, ici c’est le gouvernement du général Franco dont on refuse la dictature. Dans les deux cas la revendication est précise et clairement formulée. On sait ce que demandent les étudiants.
On est « pour » ou on est « contre ». Généralement on est « pour » car l’oppression économique avouée de la dictature des policiers sont des situations qui choquer sans qu’il soit besoin de réfléchir longuement.

LES MOUVEMENTS ETUDIANTS EN EUROPE AU CONTRAIRE SONT BEAUCOUP PLUS COMPLEXES. Mis à part les étudiants belges qui semblent la proie d’un nationalisme linguistique compréhensible sinon admissible, les étudiants allemands, italiens ou français, eux, ne semblent pas toujours compréhensibles. Pourquoi se démènent-ils ainsi, souvent avec une violence destructrice et anarchique alors qu’il n’y a pas de dictature politique et que la situation économique est relativement bonne ?

Pourquoi « râlent-ils » comme ça ? On peut dire, lire et écrire ce qu’on veut. Les études sont quasi-gratuites. A la fin de celles-ci un métier correctement payé attend tous ceux auront travaillé sérieusement. Evidemment tout n’est jamais parfait ici-bas, mais n’est-ce pas demander la lune que de protester dans les conditions qui sont actuellement faites aux étudiants de l’Europe du « Marché Commun ? »

Je crois personnellement qu’IL FAUT PRENDRE GARDE A CE GENRE DE RAISONNEMENT qui se termine parfois chez les gens de la génération de nos parents par des « qu’ils aillent donc travailler » ou « ils feraient mieux d’être reconnaissants pour toutes ces universités qu’on leur construit », ou encore « la police devrait s’occuper de la minorité d’excités » etc...

Il y a en fait DEUX PRINCIPALES RAISONS aux mouvements actuels qui dans une large mesure les justifient.

La première, c’est que NOUS SOMMES DANS UNE PÉRIODE DE CHANGEMENT TRÈS RAPIDE qui bouleverse toutes les situations et déséquilibre les individus.
Il y avait en France moins de 150 000 étudiants en 1956. Il y en a aujourd’hui plus de 500 000. Les facultés, on ne cesse pas de le répéter, sont surchargées malgré les constructions nouvelles réalisées à la hâte.
L’administration est trop souvent inefficace autant qu’inaccessible. Chaque étudiant se sent perdu dans la masse. Les programmes changent. On n’a pas de contact avec les professeurs ? Chacun essaie de se débrouiller. On a bien quelques amis avec qui on se retrouve pour faire face et se donner du courage, mais aucune communauté étudiante, aucun accueil, aucun équipement ne sont vraiment là pour rassurer en donnant le sentiment d’appartenir à une organisation bien rodée de dimensions humaines, dans laquelle on pourra épanouir toutes ses facultés et découvrir le monde et la pensée.

A qui la faute ?

« Au gouvernement qui ne donne pas les crédits ? » « A l’UNEF qui ne connait que la grande politique, au lieu de s’occuper des problèmes concrets de la vie journalière des étudiants ? » « Aux professeurs qui ne dirigent pas les facultés comme il faudrait ? » On peut trouver toujours un bouc émissaire et refuser de comprendre qu’au-delà des faiblesses du gouvernement, de l’UNEF, ou des professeurs, il y a une gigantesque mutation en cours dans l’enseignement supérieur, mutation qui détruit progressivement toutes les structures, qui réclame des méthodes d’administration nouvelles, des pédagogies nouvelles, des idées, des constructions, des hommes nouveaux …

Et comme toutes ces nouveautés n’arrivent pas du jour au lendemain, c’est un peu partout la pagaille, l’insécurité, les récriminations et... la révolte des étudiants, révolte d’ailleurs nécessaire pour pousser les responsables à agir plus vite et plus profondément.

Mais, et c’est LA SECONDE IDÉE sur laquelle je veux insister, cette révolte des étudiants, nécessaire pour accélérer les mutations de l’Université, semble avoir une autre cause celle-là BEAUCOUP PLUS GRAVE et plus profonde.

Il s’agit d’une INSATISFACTION AUX VALEURS QUE LES SOCIÉTÉS MODERNES PROPOSENT AUJOURD’HUI comme raison de vivre aux individus. L’histoire de Rudi Dutschke, l’étudiant allemand victime récemment d’un attentat à Berlin, est particulièrement significative. Il a fui l’Allemagne de l’Est parce qu’il n’y avait pas trouvé de raisons de vivre. Il est venu à l’Ouest et il n’y a pas non plus trouvé de raisons de vivre. Alors il a commencé à protester … Certes les éternels insatisfaits, les anarchistes, les idéalistes déçus ne datent pas d’hier et ne disparaitront pas demain…

Mais on peut se demander si la révolte des étudiants aujourd’hui en Europe, n’est pas justifiée dans la mesure où ils n’ont pas de prise sur une société, qui paye leurs études et embauche finalement comme du bétail pour les faire trimer dans une atmosphère de dingue où tout est sacrifié à la course au progrès économique, à la consommation et à la rentabilité. Ainsi disparaissent peu à peu l’espoir d’une douceur de vivre, la beauté des paysages, le travail à l’échelle de l’homme, les communautés de vie où chacun est responsable de l’ensemble...

Ce qui n’empêche pas des peuples entiers au-delà de nos frontières de mourir par la faim, par les bombes, par l’oppression, par l’indifférence des sociétés développées, uniquement préoccupées de la croissance de leur production industrielle.
Il ne s’agit pas de regretter un âge d’or qui n’a jamais existé, ni de pleurer stérilement sur les malheurs des hommes qui eux n’ont pas cessé, mais il faut COMPRENDRE LES JEUNES QUI DENONCENT L’EGOISME ET L’ABSURDITE ET PEUT-ETRE AUSSI LES SUIVRE.

Comment ?

D’abord en écoutant. Les révoltes du genre de Rudi Dutschke ont toujours quelque chose à vous apprendre, même si l’on refuse de les suivre dans les voies de l’anarchisme.

CE QU’IL FAUT C’EST PRENDRE CONSCIENCE DES VALEURS QU’ILS DÉFENDENT. Après vient le temps de l’engagement pour lequel les formes ne manquent pas. Parti politique, Église, Mouvement syndicat, Métier, famille … autant de structures, toujours imparfaites et critiquables, mais que l’on peut contribuer à améliorer et qui offre des voies beaucoup plus efficaces qu’on ne serait tenté de croire pour transformer une société qui vous laisse insatisfait.
Certains me reprocheraient peut-être une conclusion un peu trop militante sinon moraliste mais je ne peux m’empêcher, après avoir évoqué les « révoltes étudiantes » et les graves problèmes qu’elles impliquent, de proposer l’action comme remède aux deux périls qui nous guettent : LE DESESPOIR ET L’INCONSCIENCE.

Francis DOLLFUS

Au moment où nous corrigeons ce numéro pour l’envoyer à l’imprimeur, le Quartier Latin est le théâtre d’opérations dramatiques qui vont marquer la vie politique française. L’Équipe nationale appelle les chefs du Mouvement, étudiants et jeunes travailleurs à rester très attentifs à ce qui se passe en ce moment, à faire critique des informations qui leur sont données avent de se laisser convaincre par elles, et de ne pas rester passifs devant les événements. Le choix de l’action violente ou non-violente est un choix personnel, mais l’Équipe nationale vous rappelle qu’en tant qu’éducateurs vous avez une raison supplémentaire de partager le combat des étudiants.

L’EXPRESS : L’ABSENCE D’ESPOIR DES ÉTUDIANTS

Dans les pays totalitaires, où l’opposition n’a pas d’existence officielle, tout comme dans les démocraties, où l’opposition leur parait souvent en pas offrir une véritable, les étudiants affirment une contestation radicale. Ce n’est certainement pas un hasard si, à Tokyo comme à Turin, à Berlin comme Berkeley, tous s’insurgent en dépit des différences, les objectifs qu’on leur propose sont fondamentalement les mêmes – produire et recommencer – et qu’ils ne s’en contentent pas. Car ce ne sont pas des objectifs. Ce ne sont que des moyens, évidents et nécessaires, de développement, qu’ils ne songent pas plus à récuser qu’ils ne refusent d’avoir leur voiture, ce symbole du couple production-consommation.
Mais production et consommation au service de quoi ? De quelles conquêtes ? De quelle aventure collective ? Toutes les générations ont inventé et connu la leur, qui fut parfois sanglante. Aujourd’hui toutes les perspectives sont obscures. On sort de faculté armé de diplômes et de connaissances qui ne débouchent pas sur le réel. Le bien-être matériel, cela va de soi. S’ils ne l’ont pas, ils l’auront. Les richesses, aujourd’hui, sont ailleurs. Le monde industriel exige de ceux qui ont l’ambition de le dominer une fécondité intellectuelle, un don d’innovation et de création qui ne peuvent s’épanouir que dans un climat de liberté, et avec des perspectives qui ne soient pas strictement égoïstes.
On est généreux à vingt ans, même quand on ne pense qu’à soi et que l’on est prêt à tout casser pour échapper à l’angoisse de finir par ressembler à ses parents.
Ce que les étudiants ressentent, c’est bien plus que le traditionnel échec des générations précédentes à « changer la vie ». C’est l’absence d’espoir, l’espèce de morne résignation posée sur leur jeunesse comment le couvercle d’une marmite.
A force de le soulever, ils le feront sauter.
Jacqueline GIRAUD

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