Scouts toujours ? Retour sur une pédagogie active et populaire
Cet article est initialement publié par The Conversation, un média en ligne d’information et d’analyse de l’actualité indépendant, qui publie des articles grand public écrits par les chercheurs et les universitaires.
Nous le reproduisons ici car il dresse un petit bilan du mouvement scout depuis sa création.
Auteur : Nicolas Palluau, Université d’Avignon
Le mouvement scout est plus célèbre que réellement connu. S’il attire un nombre important de jeunes et évoque quelques souvenirs à des adultes, il parle assez peu aux éducateurs. Pour comprendre sa place dans le champ éducatif français, il est nécessaire d’interroger l’histoire complexe de cet acteur du XXe siècle. Que nous dit-elle de la place du mouvement en France ? Et aujourd’hui, s’il est bien vivant, le scoutisme reflète-t-il la société qu’il prétend instituer ?
Littérature de jeunesse
La société du début du XXe siècle connaît bien les récompenses offertes aux élèves studieux, les livres de prix à la couverture rouge et dorée. Tous ou presque évoquent la découverte de terres lointaines, le dépaysement et l’évasion. Les récits d’aventures pour la jeunesse ont d’autant plus de prix qu’ils couronnent les efforts de sagesse, de silence et d’immobilisme. Robert Baden-Powell incarne alors une rupture en invitant les jeunes lecteurs de son Scouting for Boys (1908) – en français Eclaireurs (1912) – à imiter ses expériences de trappeur, de pisteur et d’espion aux quatre coins du monde.
L’officier colonial propose d’imiter l’exploration des territoires extra-européens en enseignant le pistage des animaux, l’allumage d’un feu, l’orientation par les étoiles. L’aventure, inscrite dans le désir de l’homme occidental depuis Ulysse, se fait modèle pour les jeunes. Baden-Powell leur apprend à imiter ceux placés aux avant postes de la civilisation, c’est à dire au contact des peuples colonisés. De cette école de la vie sauvage, le sujet apprendra à compter sur lui-même par la maîtrise d’une discipline reine, la science des bois (en anglais, woodcraft), somme des connaissances sur l’art de camper et de tirer profit des ressources du terrain.
Culture impériale
Là où l’école exige le silence et la position assise comme le souligne Georges Vigarello, le scoutisme offre aux enfants de sauter, de courir et de crier joyeusement. Le mouvement s’inscrit dans la diffusion progressive des méthodes actives par l’Éducation nouvelle.
L’édification de l’Émile se construit d’ailleurs idéalement sans livre, à l’exception d’un seul, Robinson Crusoé.
L’atmosphère de discipline librement consentie, de confiance et de franc jeu trouve alors sa place dans une institution clé de l’Éducation nouvelle en France comme l’École des Roches et son modèle innovant en première partie du XXe siècle.
Le scoutisme et sa pédagogie de l’aventure font écho à la propagande coloniale qui déploie son arsenal suggestif dans la France de l’entre-deux-guerres.
Le maréchal Lyautey, héraut d’armes de l’exposition coloniale à Paris en 1931, est aussi le grand protecteur du scoutisme français toutes obédiences confondues. Le programme d’éducation civique en plein air, selon le sous-titre d’Éclaireurs, est une solution pédagogique à la question sociale. Il exalte l’idéologie de la plus grande France, bien commun de tous les Français.
Dès la fin de l’année 1944, Emmanuel Mounier interroge dans la revue Esprit l’appauvrissement du scoutisme par une forme de bureaucratisation. Certes, à Vichy, le mouvement a tiré profit de l’ambivalence des politiques de jeunesse qu’il a souvent inspiré. Campisme et jeunesse peuvent toujours servir l’ordre et l’autorité. Mais il est aussi vrai que, de la Libération jusque dans la décennie 1960, les scouts pratiquent la convergence entre les politiques publiques et les initiatives privées. Plusieurs entreprises sont à porter au crédit d’un espace partagé entre la République éducatrice et les associations. Des rénovateurs scouts jouent un rôle décisif, tels André Cruiziat à Vie nouvelle ou Louis François avec les Clubs Unesco dans les lycées.
Dérision
Entre-temps, la Ve République vient de naître en 1958 d’une crise coloniale. L’empire cesse sa projection imaginaire et les scouts voient leurs effectifs se tasser. Émerge la caricature naïve et puérile du boy-scout, acteur d’un rapport au monde condamné. Dès 1957, Roland Barthes épinglait dans ses mythologies la « civilisation scoute ».
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En 1969, Marcel Gotlib croque Hamster jovial à l’humour potache dans le magazine Rock and Folk, vecteur d’une culture musicale nouvelle, étrangère au scoutisme. En 1985, le comédien Gérard Jugnot en reprend le registre mordant dans son film Scout toujours.
L’imaginaire colonial a cédé la place au marché des loisirs. Les associations éducatives voient défiler leur cortège d’animateurs professionnels dans le sillage de la loi de 1971 sur la formation permanente. Aujourd’hui, les accidents en camp scout et les scandales de violences sur mineur dans la décennie 2000 ont eu comme conséquence d’accroître la pression légale sur ces activités. Pour autant, de nos jours, le scoutisme demeure, en même temps, un lieu commun de la dérision autant qu’une pédagogie prisée des familles soucieuses de formation à l’autonomie par le plein air.
Éducation en plein air
En quoi la pédagogie scoute est-elle utile à la formation des enfants et des adolescents ? Son projet de socialisation demeure complémentaire des institutions scolaire et familiale.
Elle intéresse l’éducateur par la place essentielle de l’aventure dans la construction individuelle.
Faire face à la nature est une école de caractère. Le frisson de l’inconnu et des risques mesurés est aujourd’hui bien compris par les enseignes commerciales de pleine nature et d’évasion. Le citadin du XXIe siècle s’y équipe avant d’entamer sa quête d’authenticité sur l’itinéraire Decathlon-Compostelle. Il faut alors relire Walden ou la vie dans les bois d’Henri David Thoreau écrit dans l’Amérique du XIXe siècle pour comprendre que le refus de la vie moderne, urbaine et occidentalisée exprime précisément une forme de la modernité. Rares sont les éducations à offrir le spectacle du lever de soleil comme un parfum de premier matin du monde. Le petit d’homme, en effet, ne se construit pas sans rêve.
Prise de responsabilité
Réussir à surmonter les défis raisonnables qu’impose la vie en plein air constitue la meilleure école pour éprouver son caractère. Or, l’école ne fonctionne pas selon la montée de l’apprentissage depuis la main vers le cerveau mais, plus généralement, dans le sens inverse. Dans le programme scout, le couchage sous tente structure l’organisation collective. Apprendre à ne pas avoir peur la nuit constitue la première étape pour maîtriser ses émotions, afin de rendre les élèves disponibles aux savoirs scolaires.
Deux aspects significatifs de notre société sont occultés par l’enseignement du collège. Il s’agit de l’argent et de l’alimentation. Acheter sa nourriture et confectionner ses repas montrent que le scoutisme place les enfants en situation d’apprentissage par la prise de responsabilité. Le mouvement s’efforce de faire cesser le divorce entre l’École et la Vie. La pédagogie scoute est ainsi plus efficace auprès des 12-16 ans, là où, en collège, se croisent avec le plus d’acuité la transmission des savoirs et la question sociale.
Éducation totalisante, le scoutisme forme aussi le sentiment spirituel, considéré comme un élément de la culture intégrale de l’individu. Mais toutes les associations du Scoutisme français – à l’exception d’une seule, laïque, donc – font prononcer la promesse devant Dieu. École du caractère, le scoutisme enseigne que la véritable discipline vient de l’intérieur. À ce titre, il préfère toujours l’obéissance de la volonté au dressage des corps.
Nicolas Palluau, Chercheur correspondant, Université d’Avignon
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