Scout à Nancy en été 1944

d’aprés un article paru dans SCOUT 208 d’avril 1946

Cet article a été retrouvé sur l’Espace de Mémoire Lorrain. Nous trouvons important de le reproduire ici, pour le rendre visible à tous les scouts.

Cet article a lui-même été reproduit par Serge Julien, ancien Chef Scout à la XII° Nancy (1970-1976), il a découvert ce récit dans la revue SCOUT d’avril 46 et me permet de le mettre en ligne en remerçiant l’illustrateur Robert Gaulier et Daniel PETIT (92 ans), le rédacteur que j’ai eu l’honneur de rencontrer.

Nous te mettons l’extrait de la revue en fin d’article pour voir la version originale.

Nous le publions à l’occasion du décès de Daniel PETIT :

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Résistant à Nancy en 1944, membre d’honneur des Scouts et Guides de France depuis 2013, Daniel PETIT est décédé ce 31 décembre 2016. A 96 ans, il (…)

Eté 1944. Les blindés alliés, dans leur foudroyante avance, refoulent la Wermacht vers l’ex Grand Reich. L’approche du pays natal galvanise la volonté du boche, et il s’accroche, se retranche, creuse, mine notre sol lorrain si souvent meurtri.
Assister en arbitre à cette libération n’est guère du goût d’une Haute Patrouille Scout de France qui s’enorgueillit de sa devise : "Jusqu’au sang" !!!

Trop jeunes ! Pas d’armes ! voilà de quoi décourager des bonnes volontés, mais la providence veille et se présente un jour sous forme du Bureau Central de Renseignements Allié des Forces Françaises Libres.

Spontanément, sans aucune restriction, Chefs, A.C..T., C.P., acceptent le risque d’un tel engagement et même les difficultés familiales inévitables. Pour la Patrouille du Pélican commence une enivrante aventure.

Dès les premiers jours, afin de ne pas inquiéter les parents par l’heure tardive des retours de missions, la patrouille s’installe complétement au Manoir, nom donné aux locaux scouts,9 rue drouin à Nancy. Chacun à son tour y devient intendant-cuisinier. Le matin à 7 heures tout le monde est debout. Ce début de journée rappelle le camp encore si proche et malgré l’absence totale de rassemblements : dérouillage, toilette, petit déjeuner ne trainent pas. Pour huit heures et demie, le chef est de retour avec des ordres pour la journée. Dès ce moment, les uns rédigent le rapport de la veille ; penchés sur des carte d’Etat-major, ils notent soigneusement des coordonnées et, à onze heures, ces précieuses feuilles seront acheminées par une inconnue ... portant elle aussi la croix potencée fort discrétement.

Pendant ce temps, une mission est partie. Le travail ne manque jamais car le secteur qui nous est confié est vaste (entre Villey-le-Sec et Saint Nicolas du Port, et spécialement les nationales 4, 57, et 74) ... Un jour c’est l’état d’une route bombardée la veille ; un autre, c’est l’effectif d’un cantonnement ...

A midi, le manoir change d’aspect, il devient cuisine-salle à manger et le repas qui regroupe toute la HP ne manque pas d’entrain. Une heure : il faut partir mais parfois à deux ou trois seulement et c’est à la lutte au foulard que deux ou trois garçons conquiérent l’honneur de partir en mission ! Pendant quelques semaines, elles se firent à bicyclette : c’est un dépôt d’essence au fort de Villey-le-Sec qu’il faut évaluer ... ou un dépôt de munitions à la Vierge de Chaligny, en forêt de Haye ... Les bavardages avec les paysans, gendarmes, bûcherons, cafetiers, enfants du pays, nous renseignent déjà de façon assez précise. Pour vérifier, une seule solution : aller voir, mais il faut passer par des secteurs et routes interdits.

Un rauque "Halt, Papier !" ... Heureusement, de jeunes garçons en culotte courte venant se baigner dans la Moselle ne les intriguent pas, du moins pas encore.

Avec le retour parfois tardif des différentes missions, renaissent au Manoir la gaîté et le bruit.La veillée se prolonge parfois tard dans la nuit car il faut déjà ébaucher le rapport, parfois même en envoyer d’urgence certains renseignements !

Puis nouvelle transformation du manoir : les paillasses entassées dans un coin s’alignent maintenant sur le plancher ... "merci de ce jour d’existence" ... , et le silence se fait, déchiré souvent par des explosions encore lointaines.

Et puis, un jour, le son du canon se fait plus proche, les convois plus nombreux, les ennemis plus hargneux. Barrages et rafles de bicyclette nous réduisent à effectuer les missions à pied (trois bicyclettes du groupe furent prises).

Plus de temps à perdre car il faut, dans l’aprés-midi, couvrir trente à trente-cinq kilométres, mais en échange, les missions se corsent souvent d’imprévus.

  • Un aprés-midi, à travers champs, on s’approche d’une ferme isolée devant laquelle des soldats creusent avec énergie. En passant à la hauteur d’un petit bois, une salve de quatre obus de 88 part à moins de cent mètres de nous et souffle sur nos têtes ... impression désagréable mais les coordonnées de ces pièces -qui génent le passage de la Moselle- seront acquises avec précision et sans beaucoup de mal. Il ne reste plus qu’à expliquer notre présence par une histoire de ramassage de lait pour les dispensaires de Nancy, et le fermier, nous prenant trés au sérieux, nous charge de courses pour les laitiers d’un pays voisin ... une B.A. imprévue !
  • Une mine de fer excita longtemps notre curiosité en raison de sa position stratégique. Un jour enfin, une bonne Soeur de l’hospice voisin nous comprit si bien qu’elle devint une précieuse auxiliaire contrôlant les allées et venues, les arrivées de renforts, de batteries à la fameuse mine.
  • D’autres fois, c’est en ville même qu’il faut recueillir des renseignements : à la suite d’un bombardement, on s’introduisit dans une caserne ; un autre jour, dans un camp d’aviation, à la faveur du désarroi, ces visites prirent un grand intérêt et permirent même de constituer une petite collection ; dans le dos de la sentinelle, des avions touchés au sol furent dépouillés de ce qui restait encore intact (spécialement du compas de direction). Lorsque la clé anglaise était impuissante, elle se transformait en marteau pour éviter aux allemands le pénible travail de récupération ou de réparation. Les casernes fournirent des casques, casquettes et souvenirs du même style.
  • La situation se compliqua un jour fort désagréablement : la première salve d’un tir de barrage américain fouilla la terre à moins de cent mètres de nous ; un autre jour, une mission de deux garçons fut arrétée par les allemands dans un village (Richardménil) à un kilomètre de la zone de combat, le lendemain d’une attaque américaine tentant de passer la Moselle : le village promettait beaucoup d’intérêt : dès les premières maisons, nous repérions un char camouflé dans une grange et brusquement un officier nous arréta, appela des soldats et nous fit garder fusil au poing. Son interrogatoire parut interminable. A l’extrémité de la rue, un groupe silencieux de paysans semblait fort inquiet. Lorsqu’enfin l’officier nous rendit notre liberté, nous fûmes accueillis chaleureusement par le maire du village qui expliqua l’angoisse de tous par le fait qu’en une quinzaine de jours, onze jeunes gens de passage avaient été fusillés. A notre départ du village, l’officier nous interrogea de nouveau, de moins en moins convaincu ... c’est avec soulagement que nous nous vîmes enfin libres sur la route du retour.
  • d’autres fois, le groupe put rendre quelques services à la population : c’est ainsi que les habitants de Jarville ayant eu deux heures pour évacuer leurs maisons trouvèrent plusieurs charrettes, de jeunes bras, et beaucoup de bonne volonté pour les secourir dans leur détresse.
    Durant les semaines qui précédèrent l’arrivée des alliés, le Groupe Mafeking assura des missions jusqu’aux Vosges et aux frontières de l’Alsace-Lorraine. Un Routier fut arrêté et gardé par les allemands jusqu’à la libération à Villey-le-Sec.

A la fin du mois d’août, la tournure des événements laissa prévoir une résistance allemande dans notre région et Nancy même ne sembla pas être à l’abri des combats de rues.

Quelle serait alors notre utilité ?

C’est pour répondre à cette question que fut lancée l’idée d’un Poste de Secours. Grâce au Service de Santé des Forces Françaises de l’Intérieur et surtout à des initiatives privées -souvent au détriment des allemands- le poste posséda bientôt un important matériel permettant de faire plus de 400 pansements et des interventions de petite chirurgie. Rien ne fut oublié : ni réserve d’eau, ni ravitaillement, ni éclairage de secours ... Une salle voisine munie de matériel de désinfection et de nettoyage devint salle de triage. Le manoir resta "salle de garde".

Plus tard, en raison des bombardements possibles, le poste fut dédoublé et la cave d’une institution voisine fut mise en état à cet effet.

Le service de santé des F.F.I. nous affecta enfin deux médecins, à notre grande joie deux anciens scouts. La Haute Patrouille se réserva le brancardage. De jour, elle continuait ses missions, le soir chacun installait, peignait des fléches indicatrices, perfectionnait le poste Mafeking. La garde de nuit était toujours assurée par un médecin, trois externes et la H.P..

En raison des événements, l’action du poste de secours fut très réduite.

Le 14 à 1 heure du matin, un FFI fut le premier client. Le lendemain, les équipes de brancardiers sortent car les mitrailleuses crachent aux abords de la place Stanislas. Il faut raser les murs car on tire d’un peu partout. Peu aprés, le poste de la rue des Tiercelins a recours à nous. Le lendemain, suite à un bombardement par mortiers, trois équipes sortent : une passe le canal et ne trouve rien ; les deux autres, sous le bombrdement, raménent des abords de la caserne Sainte Catherine des blessés. Enfin, un mort sera le dernier "client" du poste. Le lendemain, les américains entraient triomphalement dans nos murs. Plusieurs semaines encore, le poste resta en état d’alerte pour parer à toute éventualité et ce n’est qu’avec l’autorisation du Service de Santé qu’il put fermer définitivement ses portes ...

Mission terminée !

Aprés la libération, le groupe Mafeking put rendre encore quelques services :

  • liaison à bicyclette avec une colonie de vacances à 150 Km dont on était sans nouvelles ;
  • repéchages et identification des cadavres dans la Moselle (crimes de la Gestapo) ;
  • liaisons en automobiles ...

Et peu à peu la vie reprit son cours normal.

Pour sa première sortie en uniforme, aprés cinq ans de camouflage, ce n’est pas sans fierté que la Haute Patrouille au complet participa à la revue des Forces Françaises de l’Intérieur, passée par le Général de Gaulle. (photo ci-dessous)

Haute Patrouille Nancy
Groupe clandestin Mafeking

Photo historique : Les 3 petits scouts étaient de la troupe - XIIème NANCY- à l’honneur pour son "Groupe MAFEKING". Le chef qui est derrière, à l’extrême gauche, en chapeau, est Jean TISSIER qui fut pendant toute la durée de la guerre, notre contact avec la zone libre (revues, insignes , livres .. aujourd’hui décédé.)

Ceci est le brassard FFI de Daniel PETIT, Chef de Troupe de la XIIème NANCY, donc le C.P. de la Haute Patrouille. La Haute Patrouille d’une troupe comprend le CT et l’ensemble des Chefs et des Seconds de Patrouille. La 12ème NANCY était la troupe de Daniel pendant la guerre. La H.P. "Groupe Mafeking" a travaillé sous ce nom pour le Réseau Mithridate pendant cette période.

Tu peux télécharger le PdF pour lire l’article grand :

Portfolio

PS

Dessins de Robert Gaulier.

Ce qui précéde est un récit authentique qui fut demandé à Daniel au 45ème Chamarande, et qui a paru dans le numéro 208 de SCOUT d’avril 46. Jean-Louis FONCINE l’a repris dans "Scouts du monde entier" édition 1957 pp. 57 à 61, et pp. 44 à 46 dans l’édition Orme rond de 1986.

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