Nous étions avec les réfugiés et les EEDF à Morbecque

Depuis novembre, et jusque début février, les EEDF? accueillent des jeunes mineurs isolés étrangers dans leur base de Morbecque. Nous sommes allés les rencontrer.

Nous arrivons par un froid digne du Grand Nord (on va se faire taper par nos amis des Hauts de France) à Hazebrouck ce samedi matin 14 janvier. L’accueil à la base est chaleureux. L’accueil par les réfugiés plus interrogatif : que font ces gens ici qui ont l’air de s’intéresser à eux ?

Il faut dire qu’ils sont un peu méfiants d’être filmés et pour deux raisons :

  • Leur image sur les réseaux sociaux, ou sur la télévision, peut poser des soucis dans leur pays d’origine. Et les médias français n’ont pas tous brillé par leur bienveillance, ça n’arrange pas.
  • En pleine période de recours et de procédures avec l’administration, la peur est de compromettre leurs actions en cours. Beaucoup ont des entretiens la semaine qui suit notre passage, et ils flippent. Leur avenir s’y joue.

Alors on n’aura pas d’interview d’eux. Nous décidons de respecter ce choix.

Notre reportage vidéo

D’où viennent les jeunes ?

Lors de notre passage, les jeunes sont une vingtaine, ils viennent tous d’Afghanistan. On parle peu de ce pays en ce moment. Pourtant, là-bas, c’est la m****. Oui difficile de trouver un mot plus juste. Les américains se désengagent du pays, mais le relais n’est pas bien pris par Kaboul qui dispose d’une police et d’une armée mal formées et très corrompues. C’est surtout la guerre civile depuis longtemps là-bas, avec comme acteurs principaux les Talibans.

Les Talibans, ce sont des gens sérieusement furieux. Le foot est interdit, le cinéma aussi, et les filles, c’est mieux dans un vêtement relevant de la cage voilée... et surtout à la maison. Tu vois l’Etat Islamique ? Ce sont à peu près les mêmes, la discrétion médiatique en plus en ce moment.

Ils occupent actuellement environ 40% du pays. Un record depuis 2001. Dans les zones dont ils reprennent le contrôle, ils ne font pas dans le détail : menaces de mort ou exécutions sommaires des gens qu’ils considèrent comme "traîtres", recrutement forcé des jeunes adultes dans leur armée, etc. Ils n’hésitent pas à menacer les familles si besoin est. Alors, les gens fuient. On compte les réfugiés par centaines de milliers dans les zones "libres", ou au Pakistan.

Dans ces zones libres, ce n’est pas simple non plus : les Talibans affectionnent les attentats à la bombe, voitures piégées, attentats suicides. Et ils n’hésitent pas à faire sauter des lieux fréquentés : mosquées, marchés, etc.

Pour mieux comprendre, c’est ici, avec ce reportage de The Guardian.

Imagine que ça t’arrive en France : tu as l’âge d’être pionnier? Scouts et Guides de France, ainé EEUDF? ou second/CP scout d’Europe. On t’impose d’être enrôlé pour tuer d’autres français, voire des membres de ta famille des zones libres, des menaces pèsent sur ta famille, 40% du pays est occupé par des fous de Dieu. Alors tu pars, ou ta famille te demande de partir, pour rejoindre un lointain membre de la famille à 7000km de là, à l’autre bout de l’Europe. Sans parler la langue des pays que tu traverses. Parfois sans même parler anglais !

C’est ce que ces jeunes ont fait. En passant par l’Iran, la Turquie, le terrible passage par la Méditerranée, la Grèce et la remontée par l’Europe. Et ils ont buté sur la Manche. Ils sont tous resté quelques temps dans la "Jungle" de Calais.

Quelle est leur situation ?

Les Éclaireuses Éclaireurs de France sont les scouts laïques du Scoutisme Français. Ils ont été sollicités par l’Etat pour ouvrir leurs bases dans le cadre du démantèlement de la "jungle" de Calais en Octobre. Ils ont répondu à l’appel. L’Etat a alors mandaté l’association AFEJI pour deux missions :

  • coordonner et aider ce Centre d’Accueil et d’Orientation des Mineurs Isolés (CAOMI) ;
  • accompagner les jeunes dans leurs procédures et leur accueil en France. C’est le rôle des éducateurs spécialisés, aidés par des moniteurs éducateurs.

Ce type d’accueil entre dans le cadre de l’obligation qu’a la France d’accueillir les mineurs isolés, personnes vulnérables, dans le but de les mettre à l’abri. Le principe est très bien expliqué sur le site de France Terre d’Asile.

Au départ, ce sont 36 jeunes qui sont arrivés à Morbecque au début du mois de novembre. Tous mineurs, cherchant à rejoindre de la famille en Angleterre. Ce n’est pas simple, parce que leur famille, suite à la longueur du trajet, n’est pas forcément facile à trouver en Angleterre : elle a aussi pu bouger.

Des jeunes ont profité de la procédure accélérée de regroupement familial en Angleterre : ils ont été reconnus mineurs et leur famille en Angleterre a été retrouvée. L’AFEJI a accompagné ces jeunes en train jusqu’à leur famille. Les autres ont été refusés : pas de trace de leur famille. Souvent parce qu’on ne la retrouve pas, pas forcément parce qu’elle n’existe pas.

Alors, ils sont en recours. L’UNHCR (HCR en français, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) et la Croix Rouge aident l’AFEJI et les jeunes à retrouver la trace de leur famille, perdue au long de leur parcours. Sans cette trace, malheureusement pas de départ possible pour l’Angleterre.

L’accueil de ces jeunes afghans se terminera début février à la Base de Morbecque et les Eclaireuses Eclaireurs de France reprendront leurs accueils habituels. Plusieurs issues possibles pour chaque jeune :

  • Ceux qui maintiennent leur projet de rejoindre l’Angleterre : ils suivront la procédure classique pour tenter leur regroupement familial ;
  • Certains décident de revoir leurs projets et de rester en France. Ils rejoindront l’Aide Sociale à l’Enfance. Cela va être compliqué, il faut trouver une place adaptée à leur situation ;
  • Certains ont décidé de se déclarer majeurs : ils suivront les procédures habituelles pour personnes majeures réfugiées.

Pour tous les mineurs, une procédure de vérification de la minorité aura lieu. Elle comporte des entretiens pour vérifier le parcours et sa cohérence. Si nécessaire, des tests osseux seront réalisés, procédure dont la fiabilité et l’éthique sont très controversées.

Tous les jeunes ont des projets d’avenir. Ils s’expriment : aller à l’école, se former, suivre des études, et trouver un travail. Certains parlent déjà un anglais impressionnant.

Les conditions d’accueil

Certains groupes, de type "France sans migrant" sont au taquet pour repérer les accueils de migrants. Ils vont alors dans la ville concernée pour semer la peur et inciter à la contestation, "ils sont mieux chez eux !". Les Talibans, des gens si charmants. Hum. Ça a été aussi le cas à Morbecque. Cela a cependant été géré puisque la base avait déjà accueilli des migrants, adultes, plusieurs jours, un an plus tôt, sans aucune difficulté.

Pour la base, ça a aussi pu être compliqué : elle est habituée à accueillir des groupes sur de courtes périodes. Là, c’était pour 90 jours, 7J/7, 24H/24. Les salariés de la base ont su se mobiliser pour accompagner les jeunes, même pendant Noël ou le Nouvel An. Et puis les éducateurs de l’AFEJI sont présents du matin à la fin de la journée en relais. La nuit, c’est une société de gardiennage privée qui prend le relais.

Nombreux sont les habitants de la région qui sont venus faire du bénévolat le dimanche, vivre des activités avec les migrants. Le jour de notre passage, c’était le SEL, Système d’Echange Local.

La famille de l’interprète fait un travail de présence incroyable également. Avec un rôle clé : l’interprète, afghan, a suivi le même parcours que les jeunes. Un exemple qui marque plusieurs jeunes.

Le travail de l’AFEJI et de la base EEDF? porte ses fruits : les jeunes apprennent le français et l’anglais vite. Ils se comportent aussi comme de vrais ados, avec de bonnes blagues potaches comme on les aime. Et le samedi soir, c’est go dans les chambres avec le stock de cinquième. ;)
Une réelle relation de confiance s’est établie entre les jeunes et l’encadrement. Disons-le, la sérénité règne.

Nous leur souhaitons une belle suite dans leurs parcours.

Portfolio

PS

A lire aussi :

Publié le (mis à jour le )